Georges-Bernard
Depping - 1811
Commentaire :
La
1ère édition est de 1811.
Extrait
: Grotte
d'Osselle (1)
Nous
visitâmes cette grotte en septembre 1812. Plusieurs
jeunes gens de Besançon voulurent bien nous
accompagner dans notre expédition
souterraine. Après nous être pourvus d'un
char à banc, avec des provisions, des falots, des
briquets et d'autres objets nécessaires, nous
partîmes de Besançon à sept heures du
matin. (1)
Comparez le Journal des Savans, 9 septembre 1684;
le Voyage minéralog. et physiq. de Bruxelles
à Lausanne; et le Voyage d'une Française en
Suisse et en Franche-Comté. Londres, 1790,
t.2 (2)
Dans cette grotte, les gouttes d'eau en tombant de la
voûte sur les congélations, forment des sons
dont l'ensemble fait, sur le voyageur, dans le lointain,
l'effet d'une musique délicieuse.
"Merveilles
et beautés de la nature en France", tome II,
Paris (4ème édition,
p.135-144)
Page
de titre
Le texte ci-dessous est tiré de la 4ème
édition (1819)
Né à Munster, en Wesphalie, de parents
allemands, le 11 mai 1784.
Mort en 1853
Etudes en Allemagne
En 1803, fait un voyage à Paris, où il se
fixe.
Vit d'expédients (cours d'allemand, articles de
presse, maître d'études dans des institutions
privées, etc.).
Puis vit de ses écrits, sur des sujets variés
dont il n'est généralement pas
spécialiste!
Le village d'Osselle est à cinq lieues de cette
ville. La route paraît d'abord s'écarter
beaucoup du cours du Doubs; mais bientôt cette
rivière sinueuse ramène ses eaux dans le
voisinage du grand chemin, et arrose en larges replis une
belle plaine, au-dessus de laquelle la route
s'élève de cinquante à quatre-vingts
pieds, en forme de terrasse. Le château de Torpe , qui
a autrefois appartenu au marquis du Châtelet, et les
ruines d'un vieux château fort, bâti sur une
hauteur forment des points de vue charmans. Auprès du
village de Torpe , on quitte cette espèce de terrasse
pour traverser des champs de maïs et de chanvre. Le
mélange de ces végétaux a quelque chose
d'agréable : on aime voir alterner le chanvre,
pyramidal d'un vert sombre avec la quenouille vert tendre du
maïs. Le Doubs se dérobe alors à la vue ,
et on n'espère plus le retrouver. Mais après
avoir traversé la forêt d'Osselle, on le voit
de loin revenir autour du village de ce nom.
Nous laissâmes dans cet endroit notre char à
banc ; et après avoir distribué nos bagages ,
nous descendîmes vers la rivière, que nous
passâmes en bac. Nous aperçumes alors le long
du Doubs le coteau dans lequel la grotte s'enfonce. Un
fermier de l'autre bord de la rivière nous donna pour
guide son fils, muni d'une lanterne; et après nous
être fortifiés d'avance, par une collation,
contre les fatigues de notre expédition, nous
gravîmes le coteau. Il ne croît sur cette
colline qu'une herbe courte et des broussailles
épineuses. Dans quelques endroits, une roche
jaunâtre perce à travers la terre
végétale. La nature n'a presque rien fait pour
parer ces coteaux : elle a réservé cette fois
son luxe pour l'intérieur.
Nous arrivâmes enfin à l'entrée de la
grotte. On alluma les flambeaux;
précédés du guide qui portait sa
lanterne, nous nous enfonçâmes dans
l'étroite ouverture du rocher: c'est d'abord une
sorte d'allée voûtée; on marche sur un
sol uni, et la voûte est comme celle d'un caveau. A la
vue de deux ornières que le guide nous fit remarquer
dans le sol, nous restâmes muets d'étonnement.
Comment une voiture avait-elle pu entrer dans cette grotte,
et à quelle fin l'y avait-on introduite? Le guide
nous expliqua tout. M. de Lacoré, intendant de la
province, avait voulu embellir son château de
plusieurs belles colonnes qui étaient dans le fond de
la grotte: il les fit abattre ; et comme elles
étaient très-pesantes, il fit démonter
un petit charriot pour l'introduire dans le souterrain; il y
fit mettre ensuite les colonnes; mais il ne put jamais
parvenir à les faire sortir de la grotte : il fut
obligé de les laisser là, et on les voit
encore couchées sur le sol.
M. de Lacoré parait avoir eu un goût
particulier pour cette grotte. C'est lui qui a fait aplanir
le chemin et tailler la voûte. Il a même voulu y
donner une fête : on montre encore l'endroit qu'il
avait fait éclairer et décorer pour un festin,
et on assure que la fête était
très-brillante. La société fit, sans
doute, son possible pour répondre aux attentions du
maître ; mais qu'il a dû être difficile de
s'égayer dans un souterrain dont les sombres
enfoncemens inspirent une secrète horreur, et
où rien ne rappelle la nature vivante !
Pendant que nous nous entretenions de l'idée bizarre
de l'intendant, le guide saisit des deux mains une grosse
pierre, et la jeta de toutes ses forces contre terre ;
à l'instant , nous entendîmes dans toute la
caverne un mugissement qui nous fit frissonner. Le mot
italien rimbonbare, que le Tasse a si heureusement
placé dans un de ses vers, peindrait parfaitement ce
bruit sourd et prolongé. Provenait-il de quelques
abîmes creusés sous nos pieds, ou des longues
galeries de ce labyrinthe? C'est ce que nous ne pûmes
distinguer.
Ce n'est qu'au delà de cet endroit que commence la
véritable grotte; on s'en aperçoit
bientôt à toutes les stalactites qui pendent du
haut de la voûte, ou qui s'élèvent de
chaque côté, et à la peine qu'on
éprouve à marcher sur un sol inégal ,
tantôt couvert de pierres, tantôt composé
d'une terre humide et glissante; quelquefois même il
faut traverser assez longtemps des mares d'eau. Les
difficultés du chemin augmentent à mesure
qu'on avance ; et l'attention qu'on est toujours
obligé de porter à la marche empêche de
remarquer souvent les curiosités qui vous
environnent; quelquefois le chemin descend de trois à
quatre pieds ; d'autres fois les stalactites descendent si
bas, qu'on a quelque peine à passer par dessous.
Cependant nous nous arrêtions fréquemment pour
les examiner. Un des plus beaux effets de cette grotte, se
mon trait lorsque quelques-uns de nous étaient
séparés du reste de la compagnie par des
colonnes ou par des stalactites pendantes : on ne voyait pas
alors leurs flambeaux; mais la transparence des stalactites,
répandait une lueur rougeâtre fort
singulière, et ce que nous voyions de leurs personnes
avait aussi une teinte rouge. Nous les comparions aux
démons de l'Opéra , et le tout ressemblait en
effet à une belle décoration de
théâtre.
Les stalactites autour de nous avaient toutes sortes de
formes : c'étaient des troncs d'arbres, des colonnes,
des groupes de glaçons, des alcôves, des
espèces de coulisses ; à mesure que nous
passions devant tous ces objets, nos lumières les
faisaient étinceler comme des diamans. Autrefois
l'éclat de ces concrétions a dû
être bien plus vif. Malheureusement les
fréquentes visites des curieux ont fait couvrir de
fumée presque tous les endroits que l'on peut
atteindre. Cependant l'eau découle de toutes parts,
et change sans cesse la forme des stalactites.
Le guide nous fit remarquer une petite salle avec une sorte
de tribune ; et il ajouta que dans cet endroit, on avait dit
la messe pendant la révolution. Le souvenir de cette
époque , où la piété
était obligée de se réfugier dans les
antres et les lieux les plus sauvages, augmenta en nous le
sentiment mélancolique qu'inspirait ce souterrain :
il nous semblait voir une de ces catacombes où les
premiers chrétiens allaient se consoler, prier, et
puiser du courage contre les persécutions.
Plus loin, nous arrivâmes à une grande salle si
haute que nos flambeaux n'en purent éclairer la
voûte; il n'y avait point de stalactites sur les murs
et le sol était sec et uni. Les cris plaintifs d'une
foule de chauve-souris, effrayées de l'aspect de nos
flambeaux, se firent entendre au-dessus de nous, mais
à une si grande élévation qu'ils
semblaient partir du haut d'une tour.
La grotte se rétrécit ensuite, et reprend la
forme d'une longue galerie; elle conduit à un lac
étroit mais profond. Nous ignorons s'il est vrai,
comme le prétend un auteur, que mille brasses de
corde, au bout desquelles on avait attaché deux
boulets, n'ont pu en atteindre le fond. Autrefois on ne
pouvait aller au-delà de ce bassin; mais dans le
dernier siècle, on y a construit un pont, et on peut
maintenant aller jusqu'au bout de la grotte : cependant ce
n'est pas sans danger. Après avoir passé le
pont , on a d'un côté des rochers, et de
l'autre un fossé extrêmement profond. Il faut
employer la plus grande précaution pour ne pas faire
un faux pas. Ce ne fut qu'après avoir passé ce
défilé que nous vîmes tout le danger que
nous avions couru. Le guide nous raconta alors que deux
curés avaient voulu aller jusqu'au bout de la grotte,
mais que, dans ce passage, l'un d'eux disparut
tout-à-coup d'auprès de son compagnon de
voyage: quelques minutes après, celui-ci entendit des
cris aigus qui partaient du fond de l'abîme. Il
chercha promptement l'issue de la grotte, et appela du
secours ; mais ce ne fut qu'au bout de vingt-quatre heures
que le malheureux curé fut retiré du
fossé. Il faut se méfier, en
général, de tous les contes des guides ; cet
accident n'a pourtant rien d'invraisemblable.
Au fond de la grotte est une salle assez vaste, ornée
de stalactites, comme les autres parties. Nous y vîmes
un assemblage de fusées, qui ressemblait à une
chaire à prêcher revêtue d'une draperie
bien plissée. Partout les murs étaient
couverts de noms écrits avec le noir de fumée
des flambeaux. Cette manie de laisser partout des souvenirs
a contribué à gâter une partie de la
grotte. On a aussi autrefois enlevé beaucoup de beaux
morceaux ; nous n'y vîmes plus ces pavillons, ces
tombeaux, ces statues, ces fleurs, ces fruits, ces paysages,
et autres merveilles décrites par les auteurs qui ont
visité la grotte avant nous. Peut-être aussi
les difficultés de la marche diminuaient-elles en
nous l'illusion que produisent ordinairement les objets
qu'on voit dans ces souterrains.
Nous oubliâmes pourtant bien des fois toutes nos
peines à la vue d'un groupe de stalactites.
C'est toujours un spectacle agréable de voir l'eau
dégoutter sur toutes les figures, s'épaissir,
et produire mille formes grotesques, sujettes à une
transformation continuelle: ce qu'on y voit aujourd'hui est
souvent tout autre dans huit jours. Tout est blanc et
fragile, tant qu'on le laisse dans la grotte; mais ce qu'on
en tire s'endurcit à l'air et devient grisâtre.
Lorsqu'on frappe ces stalactites avec une canne, elles
rendent différens sons, dont le retentissement forme
une harmonie qui n'est pas moins singulière que tout
le reste, et qui rappelle la grotte musicale de Castleton en
Angleterre (2).
La longueur de toute la grotte est de plus d'un quart de
lieue. Les salles ne sont ni vastes ni bien
voûtées; et sous ce rapport, la grotte
d'Osselle est inférieure à d'autres grottes de
la France; mais elle les égale par ses belles
concrétions.
L'air, n'ayant point de jeu dans l'intérieur de la
caverne est si épais, qu'on n'y respire souvent
qu'avec peine, et que la fumée des flambeaux qu'on y
porte reste suspendue et immobile à l'endroit
où elle est ; et si, après avoir fait le tour
de la grotte, on l'observe au retour, on trouve qu'elle a
gardé sa situation et à peu près sa
forme. Il y a lieu de penser que si l'on y déposait
des cadavres desséchés, comme on faisait jadis
dans les caveaux des cordeliers à Toulouse, ils se
conserveraient pendant des siècles.
On est fondé à croire que, puisque la grotte
est sur le bord du Doubs, cette rivière l'a
creusée dans le temps que ses eaux étaient
encore au niveau de la colline.
Un éboulement de terre fit découvrir, en 1780,
auprès du chemin de Besançon à
Strasbourg, d'autres grottes, remplies, comme celles
d'Osselle, de stalactites curieuses; on y voyait un
bénitier, des herbes et mêmes des troncs
d'arbres fossiles; mais un autre éboulement referma
dans la même année ces souterrains.
Vis-à-vis du village d'Esnans, il en existe d'autres
qui, à ce que l'on présume, communiquent avec
ceux-ci. On y descend par le moyen d'une corde ; on arrive
ensuite à diverses salles, où la nature a
prodigué des formes bizarres et des imitations des
ouvrages des hommes. Les débris d'architecture y sont
sur-tout d'une vérité frappante.