Gustave
Fraipont - 1897
Commentaire :
Peintre et
graveur
Extrait
: Le point
capital de l'excursion que nous allons entreprendre est
Osselle et ses remarquables grottes qu'à tout prix
nous voulons visiter [
]. Nous n'avons
qu'un bout de chemin à franchir pour être au
village d'Osselle.
et je serai
aussi consciencieux dans leur description et aussi impartial
dans leur histoire (quand elles en auront une) qu'il est
possible de l'être, mes goûts personnels
n'intéressant que médiocrement les
populations.
"Le
Jura et le pays franc-comtois", Paris,
p.206-213
Couverture
Né à Bruxelles le 1er mai 1849.
Se fixe à Paris et est naturalisé
français.
Expositions, illustrations pour revues et ouvrages.
A publié opuscules sur techniques de dessin et
peinture
A publié des ouvrages sur "Les montagnes de France",
parcourues en prenant notes et croquis (Vosges, Jura,
Auvergne).
- Oui mais, voilà! les grottes d'Osselle ne sont pas
à Osselle!
Il nous faut faire quatre ou cinq kilomètres pour y
arriver !...
Il faut traverser le canal d'abord, la rivière
ensuite ; non loin une ancienne route romaine (levée
de Jules César), qui se heurte à une
culée de vieux pont, romain aussi, nous mène
tout droit au moulin du Reculot, blotti au pied des monts
Chatelard. En sui-vant le Doubs pendant quelques instants,
en traversant ensuite le bois des Planches, nous aboutissons
enfin aux fameuses grottes!
Mais il nous faut un guide pour y pénétrer et
ce guide n'est point là! Il nous faut nous mettre
à sa recherche, rebrousser chemin pour l'aller
quérir à l'usine de la Frondière.
Notre homme se munit de tout l'attirail nécessaire,
attirail fort simple: des torches et des chandelles.
- Notre guide nous donne gravement chacun une chandelle,
gravement met le feu aux mèches et nous
précède une haute torche à la main; il
a l'air imposant d'un suisse de cathédrale, nous
devons, nous, ressembler à de petits communiants avec
nos cierges.
L'entrée des grottes est basse et étroite.
Tout d'abord, encore sous l'influence de la lumière
éclatante du dehors, nous ne voyons absolument rien,
et c'est avec la plus grande circonspection que nous
avançons sur le terrain glissant, vaseux par
endroits. A vrai dire, je ne suis pas grand amateur de
ténébreux endroits, cavernes, grottes,
catacombes ou antres quelconques; j'y éprouve
toujours un certain malaise, une sorte d'étouffement;
malaise, entendez bien, et n'allez pas croire que c'est ici
un atténuatif de peur, nullement, je sais bien qu'en
ces lieux - si fréquentés par tous les
touristes que les visiter finit par devenir banal, - je sais
bien, dis-je, que nul troglodyte n'habite ; tout au plus
dérangeons-nous les inoffensives chauves-souris que
les points lumineux de nos chandelles et la lueur de nos
torches semblent contrarier grandement, car se
décrochant des coins où elles s'étaient
suspendues pour dormir, les voilà qui volètent
au-dessus de nos têtes !...
J'ai grande admiration pour les "explorateurs souterrains",
qui munis d'échelles, de cordes, de pics, d'un tas
d'instruments divers, se glissent dans toutes les crevasses,
grimpent dans les anfractuosités, descendent dans les
creux, font des fouilles, baptisent les trous où ils
pénètrent, les rochers qu'ils escaladent et
les amas de stalagmites qu'ils enjambent, mais ce genre
d'exploration me laisse froid; je suis un barbare, un
profane, soit, mais je trouve que quand on a vu deux grottes
on en a vu dix ! les salles sont plus ou moins grandes, les
rochers ont des formes plus ou moins baroques, les
stalactites retombent des voùtes avec plus ou moins
de grâce, on s'y crotte plus on moins (plutôt
plus que moins'), on se...
- Pourquoi y viens-tu alors?
- Eh parbleu !... je suis la foule ! en ce moment la foule
c'est toi !... et puis venir en ce pays dont on veut parler
et n'en pas visiter les grottes !... ce serait faire injure
aux habitants, braves gens après tout ! - Aussi j'en
visiterai encore, je pénétrerai encore avec
toi
En somme, les grottes d'Osselle méritent leur
réputation et je comprends que les "amateurs" y
passent de bons moments, il y a là de quoi satisfaire
leurs goûts des choses interrannées. Ils
trouveront ici toute une enfilade de cavernes, des petites,
des moyennes et des grandes, une collection de stalagmites
et de stalactites de la plus belle venue, de la crotte de
toutes couleurs ; s'ils sont quelque peu anthropologistes,
ils n'auront qu'à gratter le sol, pas longtemps, pour
sortir de ses tréfonds des ossements fossiles, que
des ours de cavernes y ont laissés - probablement
malgré eux - pour apprendre aux
postérités que là étaient leurs
demeures. Pendant un kilomètre le promeneur pourra
déambuler ainsi la chandelle à la main ; il
verra dans son parcours la cloche de Sens et la statue de
Notre-Dame, le Panthéon et la colonne Vendôme,
le Capucin et le buste de Louis-Philippe,... assemblages de
stalactites ou de stalagmites qui ont pris (plus ou moins)
la forme des sujets sus-nommés !... Au milieu de sa
promenade il rencontrera un pauvre petit ruisseau qui coule
ses eaux au fond d'une crevasse en murmurant tristement,
comme s'il se plaignait d'être enfermé
là; il coule rapidement, pousse vite ses petites
vagues, impatientes de retrouver un peu de soleil, de
refléter un peu de ciel bleu. - Le même
désir me poursuit et c'est avec le plus grand plaisir
que je vois poindre là-bas la baie lumineuse qui
indique la sortie du souterrain.
..Là! nous voilà dehors, mais en quel
état, grands dieux! crottés des pieds à
la tête, boueux, dégoûtants,...
sauvons-nous bien vite sous les grands arbres de la
forêt de Chaux, où nous nous sécherons
à l'aise; loin des regards indiscrets nous pourrons
sans crainte nous secouer et battre nos vêtements
maculés.