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Mme Gauthier - 1790
"Le voyage d'une Française en Suisse et en Franche-Comté depuis la révolution", Londres, tome II, p.266-269

Mme Gauthier
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Extrait :

Lettre LIII
Le 3 juillet 1790

Je vous ai promis une description des grottes d'Osselles. Des pluies continuelles m'ont empêchée de remplir plus tôt cet engagement: enfin j'en arrive, & je me hâte de satisfaire votre curiosité, sur un jeu de la nature aussi extraordinaire qu'intéressant.
Les grottes d'Osselles, situées à trois lieues sud-ouest de Besançon & à une de Quingey, ont leur entrée dans une montagne, dont la base est baignée par le Doux; la partie cultivée produit du bled, il ne croît sur le reste que des broussailles. De l'autre côté de la rivière, le paysage, quoique sauvage, est assez agréable. On apperçoit une vallée, des montagnes & quelques villages.
La partie connue des grottes a au moins un quart de lieue de profondeur, sur une largeur & hauteur très-inégales; dans certaines salles les voûtes ont jusqu'à cent pieds, tandis que le passage qui conduit de l'une à l'autre, est par fois si bas que l'ont est obligé de se courber au point d'avoir la tête au niveau des genoux. Le chemin est assez pénible, & quelquefois effrayant: d'abord on marche sur des pierres couvertes d'eau, ensuite sur une terre glaise constamment détrempée par les gouttes d'eau qui filtrent à travers les voûtes; ce qui la rend extrêmement glissante. Le terrain est montueux; on y rencontre fréquemment des marches grossières & inégales, près desquelles se trouvent des trous dangereux. Un ruisseau assez considérable a nécessité un pont, sur lequel on passe en sûreté. Il est solide ainsi que ses gardes-foux.
Le jour ne pénétrant dans la grotte par aucun endroit, l'air est épais & ne s'y renouvelle point. Nous en souffrîmes d'autant plus, qu'ayant perdu en route les flambeaux dont ma société & moi nous nous étions pourvues, nous fûmes obligés de prendre pour nous éclairer, quatre lampes dans un moulin: leur odeur nous occasionna de violents maux de tête. Cette lueur pâle permettoit aux chauves-souris qui y sont en grand nombre, de s'approcher & de planer sur nos têtes.
Les stalactites ou concrétions, dont les voûtes sont tapissées, ainsi que celles qui s'élevent de terre, offrent une imitation de tout ce que l'architecture gothique & moderne réunit de rare & de précieux, tant dans la variété des objets que par la finesse de l'exécution. Ici, c'est un temple antique dans toute l'immensité de ses proportions; là, un amas de colonnes disposées avec goût, offre aux yeux trompés un péristile moderne: plus loin l'on croit voir les ruines d'un édifice qui transporte l'imagination dans la nuit des tems. Si vous détournez la vue, elle est frappée d'une nouvelle erreur, en distinguant sur une éminence les détails qui composent un charmant paysage. Çà & là des grouppes d'enfans s'offrent sous la forme de bas-reliefs; on rencontre à chaque pas des statues colossales, des guerriers armés, des hermites en contemplation, des kiostes, des pavillons turcs, des colonnes torses, des tombeaux, des urnes funebres, posées sur d'énormes pyramides, des trophées, des festons & des draperies dont l'élégance est extrême.
Ces concrétions pierreuses doivent leur formation à des eaux qui, après avoir détrempé & dissous des terres ou des pierres calcaires, se filtrent au travers des rochers & tombent goutte à goutte. Ces gouttes, après que la partie terreuse a été séparée par l'évaporation & le contact de l'air, s'épaississent & forment en tombant sur diverses figures, les fifférens objets dont je viens de vous entretenir.
J'invite les voyageurs à ne point passer en Franche-Comté, sans visiter les différentes merveilles qui s'y trouvent réunies. Les amateurs de la nature seront sûrs de l'y contempler dans un de ses plus beaux temples. Qu'ils se gardent bien de croire ce que l'on ne manquera pas de leur débiter. On leur dira que ces grottes ne méritent plus la peine d'être vues, depuis que M. le marquis de Toulongeon les a dégradées pour orner ses jardins. A la vérité, il a fait enlever plusieurs petites colonnes; mais dans une forêt s'apperçoit-on qu'il manque quelques baliveaux?

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