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A. Laurens - 1818
"Annuaire statistique et historique du département du Doubs", Besançon, p.102-104

Laurens (1818)
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Commentaire :

A. Laurens était chef de division à la Préfecture du Doubs.

Ce texte est une copie presque conforme de celui paru dans l'Annuaire de 1815

Extrait :

GROTTES

Les grottes sont extrêmement nombreuses dans le Département. Il n'entre pas dans notre plan de traiter de leur origine et des causes de leur formation, nous nous bornerons à dire qu'elles existent toutes de temps immémorial.
La plus vaste de ces grottes est celle qui existe sur le territoire d'Osselle, à deux myriamètres de Besançon, dans le sein d'une colline peu élevée. Elle a été décrite avec exactitude par l'abbé Boizot, dans le journal des savans, du 9 septembre 1686. Nous allons la donner textuellement.

"L'entrée de la grotte étoit autrefois très-étroite, elle a été élargie par l'ordre d'un Intendant de la Province (1). En passant successivement par trois salles, on arrive à une autre plus grande, formée, pour ainsi dire, d'une seule pièce de roc vif, dont la voûte plate peut avoir 150 pieds dans sa plus grande longueur, sur 70 de large. Le plafond de cette grande salle n'a guère plus de 8 pieds l'élévation. Avant de pénétrer dans l'intérieur, il faut avoir soin de se munir de flambeaux et de sarraux de toile, parce qu'il y règne la plus grande obscurité, et qu'on risque de s'enfoncer dans des trous qui se présentent en plusieurs endroits. Elles sont d'ailleurs remplies de chauves-souris qu'il ne faut point inquiéter; car si on les chasse, il s'en répand une si grande quantité, qu'il est impossible d'y rester plus long-temps. En prenant ces précautions, on admire à l'aise toutes les beautés merveilleuses de cette grotte, qu'on ne peut mieux comparer qu'à un sallon rempli d'antiques et de raretés. Ici, ce sont des colonnes ornées de tout ce que la patience et la singularité du goût gothique ont pu inventer de plus délicat et de plus bizarre ; les unes ont des chapiteaux d'un volume énorme à proportion du fût de la base, d'autres ont une base très-massive et un petit chapiteau. Là , ce sont des pavillons, des alcoves, des cabinets, des tables, des autels, des tombeaux, des statues, des trophées, des fruits et des fleurs. D'un autre côté, ce sont des guerriers armés, des enfans ; l'oeil croit appercevoir même de jolis paysages. Dans certaines pièces on voit des niches singulièrement ornées ; dans d'autres, des figures grotesques portées sur des espèces de consoles, des buffets d'orgues, des chaires à prêcher. Les voûtes, sur-tout, sont bizarrement ornées de fusées et de pierres luisantes semblables à des glaçons (2). C'est un spectacle agréable de voir l'eau dégoûter sur toutes les figures, s'épaissir et produire mille formes grotesques sujettes à une transformation continuelle; ce qu'on voit aujourd'hui est souvent tout autre dans huit jours. Tout est blanc et fragile, tant qu'on le laisse dans la grotte, mais ce qu'on en tire s'endurcit à l'air et devient grisâtre. Il n'y a point de meilleurs matériaux pour faire des grottes artificielles. Les fusées pétrifiées dont nous venons de parler, ont encore cela de remarquable, que lorsqu'on les frappe avec une canne, elles rendent différens sons, dont le retentissement forme une sorte d'harmonie singulière."
"Le sol de la grotte est un sable sec et luisant; mais le terrain y est fort inégal à cause des congélations (3) qui s'y sont amassées. Il est même à craindre qu'avec le temps tout ne se remplisse, car il y a déjà des endroits où l'on ne peut plus passer qu'avec beaucoup de peine, et un, entr'autres, où il faut se traîner sur le ventre. Pour passer dans la belle salle, on est presque obligé de traverser un petit ruisseau dans cette position ; il est vrai qu'un est amplement dédommagé de cet inconvénient par l'aspect de tant de beautés curieuses et diverses, que la nature, souvent bizarre dans ses productions, s'est plu à y rassembler."
"La longueur de toute la grotte est de plus d'un quart de lieue. A l'extrémité est un lac de vingt pieds de diamètre, si profond, qu'on prétend que 1000 brasses de corde, au bout desquelles on avoit attaché deux boulets de canon, n'ont pu en atteindre le fond."
Cette cavité est traversée par un pont qui y a été construit par les ordres de l'intendant de la Province. "Le nombre des salles se monte à environ trente-six, mais elles ne sont ni vastes, ni bien voûtées."
"L'air n'ayant point de jeu dans l'intérieur de la caverne, y est si épais (4), qu'on n'y respire souvent qu'avec peine, et que la fumée des flambeaux qu'on y porte, reste suspendue et immobile à I'endroit où elle est ; et si après avoir fait le tour de la grotte, on l'observe au retour, on trouve qu'elle a gardé sa situation et à peu près sa forme."

Une ancienne tradition rapporte que les Romains avoient tiré de cette grotte beaucoup d'or. Il seroit possible qu 'on eût retiré autrefois quelques dépôts secrets, cachés dans les cavités de la grotte pour les soustraire au pillage ; et il est même probable que c'est quelqu'événement de ce genre qui a donné naissance à la tradition, car on ne voit dans l'intérieur de cette grotte, aucune trace de minéral; la nature de son sol, de ses parois, ne varie pas à l'exception du fond de l'antre où l'on trouve quelque peu de sanguine.

(1) M. de Lacoré, qui a fait construire le petit pont sur le précipice.
(2) Des stalactites.
(3)
Des stalagmites.
(4)
C'est du gaz acide-carbonique qui y vicie l'air atmosphérique.

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