Sommaire

A. Laurens - 1837
"Annuaire statistique et historique du département du Doubs", Besançon, p.212-217

Laurens (1837)
Page de titre

Commentaire :

A. Laurens était chef de division à la Préfecture du Doubs.

La première partie est partiellement une reprise du texte paru dans l'annuaire de 1833

Extrait :

Les grottes d'Osselles sont les plus célèbres des grottes du pays.
Dans un vallon fertile, que le Doubs divise en deux parties inégales, et qu'embellit une dérivation du canal du Rhône au Rhin, on voit, en arrivant par Byans, d'un côté le village d'Osselles, et à gauche, sur une colline, les premières maison de la commune de Roset-Fluans : le Doubs, qui est en ce lieu d'une largeur considérable, serpente avec majesté dans une plaine peu élevée au-dessus de son niveau, et donne à ce beau vallon un aspect enchanteur. C'est sur la gauche du fleuve, vis-à-vis la commune d'Osselles, que se trouve la haute colline qui renferme les grottes profondes, connues sous le nom de cette commune.
L'entrée en est basse et étroite; la seule connue aujourd'hui, est sur le revers d'un coteau qui s'abaisse vers le Doubs. Une longue suite de cavités souterraines, tantôt étroites, quelquefois spacieuses, dont les voûtes, inégalement élevées, sont presque toujours, ainsi que les parois, garnies de stalactites plus ou moins brillantes, présentant les formes les plus variées, forment l'ensemble des grottes d'Osselles. Des dépôts sablonneux, des débris de coquillages fluviatiles annoncent presque partout le séjour qu'y ont fait les eaux, et cette observation générale rejette bien loin le temps où ces cavités ont pu servir de retraite aux animaux des forêts qui couvraient la contrée primitivement. Les sinuosités et la direction de cette suite de grottes sont connues par les opérations géométriques qui ont été faites dans l'intérieur en 1826 (v. le plan joint à l'Annuaire de 1833). Elles s'étendent, sur une ligne non interrompue de près de neuf cents mètres, d'abord sur le territoire de Château-le-Bois, puis sous celui de Roset, et se terminent sous la forêt de Villars-Saint-Georges. Aux deux tiers de la profondeur des grottes, on voit un ruisseau qui les traverse, et qui, avant qu'un intendant de la province y eût fait construire un pont, était un obstacle insurmontable pour se porter au-delà. Les fouilles faites en 1826, pour la recherche d'ossemens fossiles, ont démontré que ce ruisseau n'avait pas été traversé par les animaux auxquels les grottes ont servi de retraite; on doit conclure de l'existence de ces animaux qu'il y avait, pour pénétrer dans ces cavernes, des ouvertures qui ont été fermées par des éboulements; car il est évident que l'entrée unique qui existe aujourd'hui, n'a jamais servi d'issue à des animaux de la taille et de la force d'ours (ursus spelaeus), qui, d'après les ossemens recueillis, devaient avoir la taille de nos chevaux ordinaires. (Voyez l'Annuaire de 1828, où se trouvent tous les détails de la découverte de ces ossemens, dont quelques-uns contiennent encore de la gélatine).
En 1827, le célèbre Cuvier a fait un rapport à l'Académie des Sciences sur cet objet ; en voici un extrait :

L'existence des cavernes à ossements constitue un des phénomènes naturels les plus curieux et les plus intéressants pour la science. La caverne d'Osselles est de même ordre qu'un grand nombre d'excavations dont les montagnes de la Hongrie, de l'Allemagne, et d'une partie de la France et de l'Angleterre sont percées, et qui toutes recèlent, en plus ou moins grande abondance, des ossements d'animaux terrestres, étrangers pour la plupart à notre climat. Dès le moyen âge, les cavernes de Harsh […]. M. le professeur Buckland, qui a étudié avec une attention toute particulière les cavernes anglaises et les animaux dont elles recèlent les restes […] a publié sur ce sujet un ouvrage plein d'intérêt, qu'il a intitulé : Reliquiae diluvianae.
C'est encore à ce savant géologiste qu'on doit la découverte des ossements de la caverne d'Osselles. A la vérité, l'on pouvait bien supposer que le Jura, qui est une continuation des Alpes de Souabe et des montagnes à cavernes de la Franconie, qui contient lui-même plusieurs de ces excavations, et qui en a d'aussi célèbres par leurs stalactites qu'aucune de celles de l'Allemagne, devait aussi offrir des restes des mêmes animaux. Il y a plus : on avait déjà recueilli dans une fente de rocher, à Fouvent, département de la Haute-Saône, des os de plusieurs des animaux conservés dans les cavernes anglaises, mais personne n'ayant donné de suite à cette découverte, on en était réduit à des conjectures. M. Buckland, visitant la caverne d'Osselles, qui était depuis longtemps un objet de curiosité à cause de son étendue et des stalactites brillantes qui la décorent, reconnut qu'elle offrait toutes les apparences des cavernes à ossements de Franconie. Il crut même pouvoir marquer un endroit où l'on trouverait des os très-près de la surface ; et, y ayant porté le marteau, il eut le plaisir de voir sa conjecture vérifiée.
Le Préfet du Doubs a pris à cette curiosité naturelle tout l'intérêt qu'elle méritait, et les fouilles qu'il a ordonnées, et qui ont été dirigées avec le plus grand zèle par M. Gevril, conservateur du cabinet d'histoire naturelle de Besançon, ont bientôt révélé que cette caverne contient une abondance aussi étonnante d'ossements qu'aucune de celles de la Franconie.
Une certaine quantité de ces fossiles a été adressée au Muséum de Paris, et il a été aisé d'en déterminer l'espèce. "Ce qui nous a surpris, dit M. Cuvier, ce n'est pas qu'ils appartiennent à ce grand ours à front bombé, que les naturalistes ont appelé l'ours des cavernes (ursus spelaeus), parce qu'ils n'en ont jamais trouvé de débris que dans des grottes semblables à celle d'Osselles ; mais c'est qu'ils appartiennent tous à cette espèce." M. Cuvier en présente des échantillons à l'Académie : ce sont deux têtes bien entières, un humérus, une portion d'omoplate, un cubitus, un astragale, un calcanéum, plusieurs os du carpe et du tarse, des os du métatarse et des phalanges. Tous ces os appartiennent évidemment au genre ursus ; et, quant à la détermination de l'espèce particulière, elle n'est pas plus difficile ; car on possède une tête entière d'ursus spelaeus tirée des cavernes de Westphalie, que M. Cuvier a placé également sous les yeux de l'Académie ; cette tête ne diffère de celles d'Osselles que parce qu'elle est un peu plus grande.
Ainsi, par une exception toute particulière, on n'a trouvé jusqu'ici, dans cette grotte, avec les ossements d'ours, aucun débris appartenant, ni aux tigres, ni aux hyènes, ni aux herbivores contemporains de ces anciennes races, et dont on a expliqué la présence ordinaire dans ces sortes de cavernes par la voracité des hyènes, qui les y traînaient pour les dévorer. (1)
Sans vouloir entrer dans aucune discussion, soit sur la formation des cavernes, soit sur la manière dont on peut se rendre compte de la présence des ossements qu'elles renferment, M. Cuvier rappelle que tout porte à croire que ces ossements appartiennent à des animaux qui y ont vécu et y sont morts paisiblement. L'état d'intégrité de ces ossements ne permet pas de supposer qu'ils y aient été entraînés, soit par des courants d'eau, soit de toute autre manière. Ces débris s'y sont accumulés par un long séjour, et dans la suite ils y ont été enfouis par le limon qu'une grand inondation y a jeté. C'est ce dont on ne peut douter, quand on considère que ces os conservent encore leurs proéminences les plus déliées, et que, si quelques-uns ont souffert, c'est qu'ils ont été entamés par les dents d'autres animaux semblables, ou qu'ils ont été brisés par les instruments des ouvriers. Les os plats et minces sont presque toujours fracturés dans les cavernes ; mais c'est à cause de leur fragilité, et parce que le seul poids des animaux qui marchaient ou se couchaient sur eux, suffisait pour les rompre.
Il paraît pourtant qu'à une époque quelconque l'eau a pénétré dans la verne d'Osselles, et y a roulé quelques ossements fossiles, qui se trouvent brisés et mêlés à des cailloux arrondis ; mais cette particularité ne s'observe que vers l'entrée. A mesure qu'on avance, les os sont mieux conservés, et, à 400 mètres de l'ouverture, ils se trouvent dans un état parfait d'intégrité. Ceux qu'on a envoyés à Paris ont été recueillis à cette distance. On n'a pas poussé les recherches plus avant ; mais il est à souhaiter, dans l'intérêt de la science, qu'on ne s'arrête pas là. La caverne a 900 mètres de profondeur : on doit donc attendre de travaux ultérieurs une nouvelle moisson de recherches géologiques.

(1) On a trouvé, dans les grottes d'Osselles, quelques ossements d'hyènes et de lèvres, mais en petite quantité.

haut