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A. Laurens - 1839
"Annuaire statistique et historique du département du Doubs", Besançon, p.206-211

Laurens (1839)
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Commentaire :

A. Laurens était chef de division à la Préfecture du Doubs.

Partiellement une reprise du texte paru dans l'annuaire de 1836

Extrait :

III
Grottes et cavernes


Il n'est guère de contrées qui offrent autant de grottes, de cavernes et de cavités souterraines, que les départements formés de la subdivision du Comté de Bourgogne. On en connaît beaucoup sans doute, mais il est certain qu'il en existe un plus grand nombre encore, qui, ne communiquant point avec les flancs et les revers des montagnes, resteront ignorées jusqu'à ce qu'une circonstance imprévue en procure la découverte. Parmi celles que nous avons parcourues, les unes nous ont paru produites par les courants d'eaux qui, après s'être creusé ces canaux naturels, ont trouvé des issues souterraines et ont laissé à sec leurs anciens lits; d'autres sont le résultat d'éboulements qui ont eu lieu par l'affaissement de couches inférieures ou par des bouleversements que le sol aurait éprouvés lors de sa dernière formation.
Parmi les grottes multipliées qui sont connues dans l'ancienne Franche-Comté, les grottes d'Osselle sont les plus célèbres. Leurs sombres cavités, leur immense profondeur, les ossements d'ours renfermés dans son sol et les précipices que les visiteurs rencontrent çà et là, sont l'objet des rapports plus ou moins exagérés de ceux qui ont pénétré dans cette suite de cavernes ténébreuses.
Dans un vallon fertile, que le Doubs divise en deux parties inégales, et qu'embellit encore une dérivation du canal du Rhône au Rhin, on voit, en arrivant par Byans, d'un côté le village d'Osselle, et à gauche, sur une colline, les premières maisons de la commune de Roset-Fluans : le Doubs, qui est en ce lieu d'une largeur considérable, serpente avec majesté dans une plaine peu élevée au-dessus de son niveau, vient se diviser en deux branches pour entourer la petite île du moulin de la Froidière, couverte d'arbres et d'arbustes d'un effet charmant, et donne à ce vallon un aspect enchanteur. C'est sur la gauche du fleuve, vis-à-vis la commune d'Osselles, que se trouve la haute colline qui renferme les grottes profondes, portant son nom, quoique situées sur le territoire de Roset-Fluans.
La seule entrée connue aujourd'hui (1) s'ouvre dans une fissure de rochers sur le revers du coteau qui s'abaisse vers le Doubs; cette entrée est basse et étroite, mais après avoir passé dans cette espèce de corridor en pente, on entre dans une longue suite de cavités souterraines, tantôt resserrées, quelquefois spacieuses, dont les voûtes, inégalement élevées, sont presque toujours, ainsi que les parois, garnies de stalactites plus ou moins brillantes, présentant les configurations fantastiques les plus variées. Des dépôts sablonneux, des débris de coquillages d'eau douce, annoncent presque partout le séjour qu'y ont fait les eaux, et cette observation générale rejette bien loin le temps où ces cavités ont pu servir de retraite aux animaux des forêts qui couvraient la contrée primitivement. Les sinuosités et la direction de cette suite de grottes sont connues par les opérations géométriques que nous avons fait exécuter en 1826 dans toute leur longueur (V. le plan joint à l'Annuaire de 1833).
(1) On présume qu'il y en avait d'autres qui ont été fermées par des éboulements.

Elles s'étendent du N.-E. au S.-O. sur une ligne sinueuse non interrompue, de près de neuf cents mètres, d'abord sur le territoire de Château-le-Bois, puis sous celui de Roset, et se terminent sous la forêt communale de Villars-Saint-Georges. Aux deux tiers de la profondeur des grottes, on voit un ruisseau qui les traverse, et qui, avant qu'un intendant de la province y eût fait construire un pont, était un obstacle insurmontable pour se porter au-delà. Les fouilles faites en 1826 pour la recherche d'ossements fossiles, ont démontré que ce ruisseau n'avait pas été traversé par les animaux auxquels les grottes ont servi de retraite : l'existence de ces animaux démontre qu'ils avaient, pour pénétrer dans ces cavernes, des ouvertures qui ont été fermées par des éboulements, car il est évident que l'entrée unique qui existe aujourd'hui n'a jamais servi d'issue à des animaux de la taille et de la force des ours (ursus spelaeus), qui, d'après les ossements recueillis, devaient avoir la taille de nos chevaux ordinaires. (Voyez l'Annuaire de 1828, où se trouvent tous les détails de la découverte de ces ossements, dont quelques-uns contiennent encore de la gélatine.) En 1827, le célèbre Cuvier a fait un rapport à l'Académie des sciences sur cet objet ; nous en avons donné un extrait dans l'Annuaire de 1837. (V. p.213.) Dans la 2e salle qui suit l'entrée, on trouve déjà des ossements d'ours en fouillant le sol ; mais ils sont agglomérés avec de gros débris de roches et de stalactites tombées des voûtes, dans une terre noire compacte, recouverte de stalagmites. Ces ossements, peu nombreux, sont presque tous brisés.
Après avoir passé sous un rocher à travers un banc d'argile ouvert par la main de l'homme, on arrive sur des portions de rochers provenant évidemment de la chute d'une partie considérable de la voûte, laquelle, dans cet endroit, est à une hauteur considérable. On ne traverse plus que des débris recouverts de stalagmites, jusqu'aux longues et vastes cavernes que l'on désigne sous le nom de grande salle. Les parois et les voûtes de cette enceinte sont revêtues de stalactites, dont les formes variées représentent une foule d'objets, successivement majestueux, grotesques, gigantesques ou très-minimes. Le sol se compose d'argiles qui reposent sur un filon de mine de fer en grains, de quelques pouces d'épaisseur; ce filon est remplacé à quelque distance par une couche de terre noire très-ténue et douce au toucher; l'argile qui la recouvre en est toujours séparée par une plaque de stalagmite très-compacte; c'est sous cette couche que l'on a trouvé et que l'on trouve encore le plus d'ossements, souvent incrustés dans le calcaire qui en représente le moule. Si l'on fouille le sol, on rencontrera constamment, sur une longueur de près de 200 mètres, des ossements de l'ours des cavernes, espèce colossale qui n'existe plus. Les bancs d'argile qui recouvrent le gisement des os fossiles, varient de 30 40 centimètres d'épaisseur ; mais quelle que soit cette épaisseur, les ossements y sont également très-nombreux. Cette argile, résultat des dépôts successifs apportés par les eaux, est disposée par couches très-minces de couleurs diverses, qui démontrent la succession des dépôts, et par conséquent que les excavations des grottes ont été souvent remplies d'eau.
Les ossements se trouvent en plus grand nombre encore dans un contour à droite, près du pont, au fond d'un amas de sable humide que l'on peut gravir commodément pour arriver à une grotte particulière formant une galerie supérieure parallèle à la salle dont nous venons de parler; quatre autres grottes plus étroites s'embranchent sur celle-ci. Toutes sont garnies d'une immense quantité de stalactites fraîches et brillantes, de formes très-variées. Les voûtes en sont basses, on ne peut les parcourir qu'en se courbant. Les stalagmites qui en forment le sol sont d'une grande épaisseur; on en a levé des tables de 11 à 12 centimètres. On a trouvé sous ces stalagmites des ossements d'ours, mais d'une espèce moins grande, quoique toujours caractérisée par une tête à front bombé. C'est dans la pente sablonneuse, près du pont, qui conduit à cette galerie, restée inconnue jusqu'en 1826, que l'on a trouvé les plus beaux ossements de la grande espèce; on y a recueilli des têtes d'une belle conservation, dont l'une était déjà à moitié transformée en fer (2).
(2) Ce morceau curieux est au cabinet d'histoire naturelle de la ville

Sur le point de vue géologique, les grottes d'Osselle, qui semblent avoir servi de lit à un cours d'eau qui se jetait dans le Doubs, présente un phénomène curieux; on voit, à 60 mètres de la grande salle, en marchant vers le pont, un passage de 75 mètres de long, dont les voûtes, arrondies uniformément comme le seraient celles d'un long corridor de cloître, semblent être le résultat d'un travail d'art. Ces voûtes sont élevées de 7 8 pieds sous le cintre; le sol, d'un niveau égal d'un bout à l'autre, est formé d'une terre légère; ce qu'il y a de remarquable dans ce lieu, c'est que nulle part on ne voit de stalactites. On distingue sur les parois, dans les parties inférieures, des érosions en ligne droite qui prouvent qu'un cours d'eau a coulé dans ce canal pendant un long espace de temps. Ce phénomène démontre que, dans toute la longueur de ce passage, les voûtes n'ont aucune fissure communiquant avec le sol des terrains supérieurs qui recouvrent les grottes à l'extérieur; car on sait que les concrétions des cavités souterraines sont le résultat de l'infiltration des eaux des terrains supérieurs.
Au delà du pont, on trouve encore de belles salles bien ornées, et on arrive à un passage étroit dont la voûte est si hérissée de stalactites, qu'il faut se tenir courbé pour le traverser sans se blesser; on arrive au-delà dans ce qu'on appelle la dernière salle, parce que l'on n'a pu encore aller au-delà. Celle-ci est ornée de stalactites bizarres; on en voit de fort belles tombant en draperies élégamment plissées. À gauche, au niveau du sol, on voit un précipice très-profond dans lequel il existe de l'eau.
Les grottes d'Osselle ne peuvent être visitées avec sécurité que lorsque s'étant réuni à plusieurs personnes ayant chacune une chandelle à la main, on se fait conduire par le gardien. On respire librement dans ces sombres demeures; les lumières ne s'y éteignent que lorsqu'elles sont atteintes par les gouttes d'eau qui tombent des voûtes. Cent parties de l'air recueilli à quelques pouces du sol ont donné à l'analyse chimique , savoir :

Gaz azote

79 parties.

Gaz oxygène

17 id.

Gaz acide carbonique

4 id.


Egalent

100

Cette analyse faite avec exactitude démontre que l'air des grottes est composé des éléments nécessaires à la respiration et à la combustion. Il est démontré d'ailleurs que l'air s'y renouvelle par des courants qui s'introduisent probablement avec les eaux du ruisseau de la Froidière, qui les traverse. La température est moyenne dans toute leur longueur, on en supporte facilement la fraîcheur; mais l'air y est constamment si humide, que les vêtements des visiteurs en sont mouillés.

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