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Paul Laurens - 1848
"Annuaire départemental du Doubs", Besançon, p.134-138

Laurens (1848)
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Mon

Extrait :

Les grottes connues dans le pays, sous le nom des grottes d'Osselles, se trouvent comprises dans la circonscription du territoire de Roset.
Ce sont les plus remarquables de toutes celles que l'on rencontre dans le département, et elles excitent au plus haut degré la curiosité des amateurs et des géologues.
Nous consacrerons quelques lignes à leur description.
Dans un vallon fertile que la rivière du Doubs divise en deux parties inégales et qu'embellit encore la dérivation du canal du Rhône an Rhin, on voit en arrivant par Byans d'un côté, le village d'Osselle, et de l'autre les premières maisons de la commune de Roset-Fluans.
Le Doubs est d'une grande largeur, sur ce point ; il se divise en deux branches pour entourer l'île du moulin de la Froidière, toute couverte d'arbres et d'arbustes. Sur la gauche, vis-à-vis la commune d'Osselles, se trouve la haute colline qui renferme les grottes.
La seule entrée accessible aujourd'hui, est pratiquée dans une fissure basse et étroite de rochers, sur le revers du coteau. Après avoir passé dans une espèce de corridor, en pente, on entre dans une longue suite de cavités souterraines, tantôt resserrées, quelquefois spacieuses, dont les voûtes, de hauteur inégale, sont, ainsi que les parois, garnies de stalactites variées et brillantes.
Presque partout on rencontre des dépôts sablonneux, des débris de coquillages, qui annoncent le séjour des eaux dans ces cavités.
Des opérations géométriques exécutées avec soin, en 1826, font connaître la direction de cette suite de grottes ; un plan indiquant le résultat de ces opérations a été donné dans l'Annuaire de 1833.
On voit, d'après ce plan, que les grottes s'étendent du nord-est au sud-ouest, sur une ligne sinueuse non interrompue de près de 900 m, d'abord sur le territoire de Château-le-Bois, puis sous celui de Roset, et se terminent sous le sol de la forêt de Villars-Saint-Georges.
Aux deux tiers de leur profondeur, coule un ruisseau dont les eaux formaient obstacle au passage avant la construction du pont que l'on voit aujourd'hui, et qui est dû à un des intendants de la province.
Les fouilles faites en 1826 pour la recherche d'ossements fossiles ont amené de curieuses découvertes.
Dans la seconde salle qui suit l'entrée, on a trouvé en creusant le sol à peu de profondeur, des ossements d'ours, mais ils étaient entassés avec des pierres calcaires et des débris de stalactites, sous une couche de terre noire et dure.
Après avoir passé sous un rocher, à travers un banc d'argile ouvert probablement en 1751, par les ordres de M. l'intendant de Beaumont, on arrive sur des débris de rocs qui proviennent sans doute de la chute d'une partie de la voûte qui s'élève à une grande hauteur sur ce point. De là, on ne rencontre plus que des pierres recouvrant des stalactites, jusqu'aux longues et vastes cavités que l'on appelle la grande salle. Dès l'entrée de cette salle, ce ne sont plus que des argiles reposant sur un filon de mine de fer en grain, ayant plusieurs centimètres d'épaisseur. Partout où la mine de fer cesse de se faire remarquer, comme on le voit près des bancs d'argile creusés à peu de distance du pont, le filon est remplacé par une couche de terre noire, très-ténue et douce au toucher; cette couche est recouverte d'argile, mais elle en est toujours séparée par une plaque de stalagmites très-compactes. C'est sous cette couche que l'on a trouvé et que l'on peut trouver encore le plus d'ossements souvent incrustés dans le calcaire qui en représente le moule.
Les ossements se montrent en plus grand nombre dans un contour à droite, près du pont, au fond d'un amas de sable humide que l'on gravit commodément pour pénétrer dans une grotte particulière qui est la galerie supérieure de la grande salle dont nous avons parlé. Quatre autres grottes plus étroites viennent s'embrancher sur celle-ci. Les voûtes en sont si basses qu'on ne peut les parcourir qu'en se courbant. Le sol est garni de stalagmites d'une grande épaisseur, tellement unies et liées entre elles qu'en les brisant pour fouiller au-dessous, on a conservé des morceaux étendus. C'est sous ces stalagmites qu'on a découvert des ossements d'ours de moindre taille, mais dont l'espèce est caractérisée par une tête à front bombé.
A l'extrémité, du côté du pont, de la grotte supérieure dont nous parlons, la pente de sable déposé sur des rochers épars ayant été fouillée pour rendre cette issue facile, on mit à découvert beaucoup d'ossements parmi lesquels on retira les plus beaux morceaux, tels que deux squelettes presqu'entiers, des têtes bien conservées de sujets jeunes et vieux, etc. Ces morceaux sont actuellement au cabinet d'histoire naturelle de la ville.
Informée du résultat de ces premières explorations, l'académie royale des sciences exprima le vœu de les voir continuer, et fit mettre à cet effet à la disposition de M. le Préfet, un crédit de 500 fr. M. Gevril, qui avait entrepris les fouilles, fut chargé de poursuivre le travail jusqu'au fond de la dernière salle. Il sonda des bancs d'argile et de terre ferrugineuse, mais il ne mit plus d'ossements à découvert, d'où l'on est autorisé à penser que les animaux qui séjournaient dans les grottes n'allaient pas au delà du ruisseau qui coule à l'intérieur.
Les échantillons de tous les ossements recueillis ont été soumis à l'examen d'une commission spéciale de l'académie des sciences. Le célèbre Cuvier a présenté à cette académie un rapport dont nous donnerons ci-après une analyse :

"L'existence des cavernes à ossements constitue un des phénomènes naturels les plus curieux et les plus intéressants pour la science. La caverne d'Osselles est de même ordre qu'un grand nombre d'excavations dont les montagnes de la Hongrie, de l'Allemagne, et d'une partie de la France et de l'Angleterre sont percées, et qui toutes recèlent, en plus ou moins grande abondance, des ossements d'animaux terrestres, étrangers pour la plupart à notre climat. Dès le moyen âge, les cavernes de Harsh étaient déjà célèbres, et par leur grandeur, et par l'immense quantité d'ossements que l'on en tirait; ces os étaient vendus aux pharmaciens sous le nom d'unicornus fossile, et on en faisait usage en médecine sous le nom de poudre de licorne fossile. Les cavernes des monts Crapack, en Hongrie, furent décrites dans le XVIIe -siècle. Vers le milieu du XVIIIe, celles de Friehleberg, en Franconie, devinrent l'objet des recherches de plusieurs hommes instruits, et l'on en représenta les ossements avec quelque exactitude. Au commencement du siècle présent, on fit connaître celles de Westphalie, et plus récemment encore on en a découvert et décrit en Carniole. Enfin, depuis plusieurs années, il s'en est trouvé en Angleterre et dans le pays de Galles, qui, ayant été examinées avec plus de soin que toutes les autres, ont fourni une étonnante quantité d'ossements d'espèces différentes. M. le professeur Buckland, qui a étudié avec une attention toute particulière les cavernes anglaises et les animaux dont elles recèlent les restes, a voulu se rendre compte de ce grand phénomène dans toute sa généralité, et il s'est transporté dans les diverses contrées de l'Allemagne, a pénétré dans toutes les grottes, en a dressé des plans et des profils, et a publié sur ce sujet un ouvrage plein d'intérêt, qu'il a intitulé: Reliquiae diluvianae.
"C'est encore à ce savant géologiste que l'on doit la découverte des ossements de la caverne d'Osselles. A la vérité, l'on pouvoit bien supposer que le Jura, qui est une continuation des Alpes de Souabe et des montagnes à cavernes de la Franconie, qui contient lui-même plusieurs de ces excavations, et qui en a d'aussi célèbres par leurs stalactites qu'aucune de celles de l'Allemagne, devait aussi offrir des restes des mêmes animaux. Il y a plus: on avait déjà recueilli dans une fente de rocher, à Fouvent, département de la Haute-Saône, des os de plusieurs des animaux conservés dans les cavernes anglaises; mais personne n'ayant donné de suite à cette découverte, on en était réduit à des conjectures. M. BuckIand, visitant la caverne d'Osselles, qui était depuis longtemps un objet de curiosité à cause de son étendue et des stalactites brillantes qui la décorent, reconnut qu'elle offrait toutes les apparences des cavernes à ossements de la Franconie. Il crut même pouvoir marquer un endroit où l'on trouverait des os très près de la surface; et, y ayant porté le marteau, il eut le plaisir de voir sa conjecture vérifiée.
"Le préfet du Doubs a pris à cette curiosité naturelle tout l'intérêt qu'elle méritait, et les fouilles qu'il a ordonnées, et qui ont été dirigées avec le plus grand zèle par M. Gevril, conservateur du cabinet d'histoire naturelle de Besançon, ont bientôt révélé que cette caverne contient une abondance aussi étonnante d'ossements qu'aucune de celles de la Franconie.
"Une certaine quantité de ces fossiles a été adressée au muséum de Paris, et il a été aisé d'en déterminer l'espèce. Ce qui nous a surpris, dit M. Cuvier, ce n'est pas qu'ils appartiennent à ce grand ours à front bombé, que les naturalistes ont appelé l'ours des cavernes (ursus spelaeus), parce qu'ils n'en ont jamais trouvé de débris que dans des grottes semblables à celle d'Osselles; mais c'est qu'ils appartiennent tous à cette espèce. M. Cuvier en présente des échantillons à l'Académie : ce sont deux têtes bien entières, un humérus, une portion d'omoplate, un cubitus, un radius, un bassin assez entier, un fémur, un tibia, un astragale, un calcanéum, plusieurs os du carpe et du tarse, des os du métatarse et des phalanges. Tous ces os appartiennent évidemment au genre ursus; et, quant à la détermination de l'espèce particulière, elle n'est pas plus difficile; car on possède une tète entière d'ursus spelaeus tirée des cavernes de Westphalie, que M. Cuvier a placée également sous les yeux de l'Académie; cette tête ne diffère de celles d'Osselles que parce qu'elle est un peu plus grande.
"Ainsi, par une exception toute particulière, on n'a trouvé jusqu'ici, dans cette grotte, avec les ossements d'ours, aucun débris appartenant, ni aux tigres, ni aux hyènes, ni aux herbivores contemporains de ces anciennes races, et dont on a expliqué la présence ordinaire dans ces sortes de cavernes par la voracité des hyènes, qui les y traînaient pour les dévorer (1).
(1) On a trouvé, cependant, dans les grottes d'Osselles, quelques ossements d'hyènes, et de lièvre, mais en petites quantités.

"Sans vouloir entrer dans aucune discussion soit sur la formation des cavernes, soit sur la manière dont on peut se rendre compte de la présence des ossements qu'elles renferment, M. Cuvier rappelle que tout porte à croire que ces ossements appartiennent à des animaux qui y ont vécu et y sont morts paisiblement. L'état d'intégrité de ces ossements ne permet pas de supposer qu'ils y aient été entraînés soit par des courants d'eau, soit de toute autre manière. Ces débris s'y sont accumulés par un long séjour, et dans la suite ils y ont été enfouis par le limon qu'une grande inondation y a jeté. C'est ce dont on ne peut douter quand on considère que ces os conservent encore leurs proéminences les plus déliées, et que, si quelques-uns ont souffert, c'est qu'ils ont été entamés par les dents d'autres animaux semblables, ou qu'ils ont été brisés par les instruments des ouvriers. Les os plats et minces sont presque toujours fracturés dans les cavernes ; mais c'est à cause de leur fragilité, et parce que le seul poids des animaux qui marchaient ou se couchaient sur eux, suffisait pour les rompre.
"Il paraît pourtant qu'à une époque quelconque l'eau a pénétré dans la caverne d'Osselles, et y a roulé quelques ossements fossiles, qui se trouvent brisés et mêlés à des cailloux arrondis; mais cette particularité ne s'observe que vers l'entrée. A mesure qu'on avance, les os sont mieux conservés, et, à 400 mètres de l'ouverture, ils se trouvent dans un état parfait d'intégrité. Ceux qu'on a envoyés à Paris ont été recueillis à cette distance. On n'a pas poussé les recherches plus avant; mais il est à souhaiter, dans l'intérêt de la science, qu'on ne s'arrête pas là. La caverne a 900 mètres de profondeur. On doit donc attendre de travaux ultérieurs, une nouvelle moisson de recherches géologiques."


Les grottes d'Osselle semblent avoir servi de lit à un cours d'eau qui se jetait dans le Doubs ; on voit, à 60 mètres de la grande salle, en marchant vers le pont, un passage de 75 mètres de long, dont les voûtes, arrondies uniformément comme le seraient celles d'un long corridor de cloître, semblent être le résultat d'un travail d'art. Ces voûtes sont élevées de 2 à 3 mètres sous le cintre; le sol, d'un niveau égal d'un bout à l'autre, est formé d'une terre légère; ce qu'il y a de remarquable dans ce lieu, c'est que nulle part on ne voit de stalactites. On distingue sur les parois, dans les parties inférieures, des érosions en ligne droite qui prouvent qu'un cours d'eau a coulé dans ce canal pendant un long espace de temps.
Au delà du pont, on trouve encore de belles salles bien ornées, et on arrive à un passage étroit dont la voûte est si hérissée de stalactites, qu'il faut se tenir courbé pour le traverser sans se blesser; on arrive dans ce qu'on appelle la dernière salle, parce que l'on n'a pu encore aller plus loin. Celle-ci est ornée de stalactites bizarres; on en voit de fort belles tombant en draperies élégamment plissées. À gauche, au niveau du sol, on voit un précipice très profond dans lequel il existe de l'eau.
Les grottes d'Osselle ne peuvent être visitées avec sécurité que lorsque s'étant réuni à plusieurs personnes ayant chacune un flambeau à la main, on se fait conduire par le gardien. On respire librement dans ces sombres demeures; les lumières ne s'y éteignent pas. Cent parties de l'air recueilli à quelques centimètres du sol ont donné à l'analyse chimique , savoir :

Gaz azote

79 parties.

Gaz oxygène

17 id.

Gaz acide carbonique

4 id.


Egalent

100

Cette analyse, faite avec exactitude, démontre que l'air des grottes est composé des éléments nécessaires à la respiration et à la combustion. Il est reconnu d'ailleurs que l'air s'y renouvelle par des courants qui s'introduisent probablement avec les eaux du ruisseau de la Froidière, qui les traverse. La température est moyenne dans toute leur longueur, on en supporte facilement la fraîcheur; mais l'air y est constamment si humide, que les vêtements des visiteurs en sont mouillés.

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