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Charles Nodier, Isidore-Justin Taylor et Alphonse de Cailleux - 1825
"Voyages pittoresques et romantiques dans l'ancienne France : la Franche-Comté", Paris, p.158-160

Nodier
Page de titre

Les Orgues
Les Orgues

Le Tombeau
Le Tombeau

La Chaire a precher
La Chaire à prêcher

Commentaire :

 

Format 31x45 cm, 222 pages, 148 lithogravures H.T., plus quelques illustrations in-texte


Charles Nodier

Né à Besançon en 1780
Mort à Paris en 1844
Ecrivain, le "Père du romantisme", fut poète, conteur et romancier.
Ses œuvres tiennent du roman noir et du conte fantastique.
Avec le Baron Taylor, il a publié en 21 volumes et 2 954 planches la description d'une grande partie de la France. La Franche-Comté est le 3ème volume de la série.



Baron Isidore-Justin Taylor

Né à Bruxelles en 1789
Mort en 1879
Ecrivain d'art, dessinateur et administrateur.
Inspecteur des Beaux-Arts, il favorisa les artistes.
Il a publié ses "Voyages pittoresques et romantiques dans l'ancienne France", ilustrés par de nombreux artistes et par lui-même.


Achille-Alexandre-Alphonse de Cailloux, dit De Cailleux

Né à Rouen le 31 décembre 1788
Mort à Paris le 24 mai 1876
Etudes d'architecture, puis s'engage dans l'armée.
A partir de 1820, est secrétaire des Musées.
Puis directeur des Musées de 1841 à 1848 (s'occupa notamment de transformer Versailles en musée).
Fut mis à la retraite par la révolution de 1848
A été chargé spécialement de la Normandie et de la Bretagne pour le "Voyage pittoresque..." publié sous la direction du baron Taylor.

Extrait :

(…) Nous traversons encore Besançon avec plaisir pour diriger nos pas vers les rives du Doubs, et demander de nouvelles sensations aux Grottes d'Osselles.
Après avoir quitté la grande route de Vesoul, et laissé à gauche une charmante maison de campagne, on côtoie pendant quelque temps le canal de Monsieur, et bientôt on aperçoit un moulin dont la situation est assez pittoresque ; un batelet y est établi pour passer sur l'autre bord, et arriver dans la région de merveilles que nous allons visiter (1).
On suit, en remontant le Doubs, un chemin qui conduit au pied d'une colline âpre et sauvage, et par lequel on parvient à une ouverture assez petite, fermée depuis quelques années par une porte composée de quelques mauvaises planches. On ne peut sans se baisser pénétrer dans ces sombres cavernes, mais on a fait à peine quelques pas, qu'on se trouve parvenu au vestibule du palais souterrain. Il faudroit un ouvrage spécial pour décrire scientifiquement et poétiquement, ces admirables grottes ; et nos paroles et nos crayons sont également impuissans pour rendre les émotions que leur sublime aspect nous a fait éprouver.
Après avoir quitté le vestibule dont nous venons de parler, on passe successivement dans un grand nombre de galeries et de salles très-spacieuses, dé-corées d'une grande variété de stalactites, réfléchissant de mille feux la flamme des flambeaux ; quelques-unes de ces cristallisations ont porté leurs larmes brillantes du plafond au sol de ce palais poétique ; elles forment alors des milliers de colonnes en faisceaux, dont les groupes miraculeux ravissent les regards et l'imagination. Tantôt leurs agrégations capricieuses figurent une vaste église, où le guide peut désigner avec précision les tuyaux d'un buffet d'orgues, la chapelle profonde, la chaire aux sculptures élégantes, et montrer jusqu'au cénobite éternellement immobile qui va y faire entendre la parole de Dieu. Quelle éloquence, au reste, a jamais témoigné d'une manière plus éclatante en faveur de son existence et de ses prodiges? Tout-à-coup l'aspect change, et ces salles souterraines sont le théâtre des bals et des festins; la stalactite descendue en longues draperies voile des orchestres distribués avec symétrie, ou la galerie fastueuse des châtelains; mais à mesure qu'on avance dans les entrailles de la terre, leur aspect et leurs prestiges deviennent plus terribles: une corniche étroite et glissante court le long d'un précipice; une atmosphère humide et imprégnée de je ne sais quelle vapeur de mort pèse sur l'observateur ému, et altère la lueur vacillante de sa torche; le sifflement plaintif des chauves-souris réveillées par la lumière, et qui s'égarent étourdies dans ces ténèbres devenues visibles, ou pendent au loin comme des tentures de deuil; ces colonnes noircies par la fumée et par le temps, mais comme émaillées de cassures éblouissantes, ce mouvement du sol qui descend inégal et glissant, ces longs surbaissemens de la voûte qui vous forcent à ramper pour entrer dans ces palais de la nature, comme si elle avoit voulu se jouer à rappeler au philosophe le triste et honteux apprentissage du courtisan, tout cela compose pour l'homme qui réfléchit une étrange escorte de méditations et de terreurs, qui lui remet en mémoire le voyage et les sombres méditations du Dante; il auroit trouvé ici de nouvelles inspirations. Nous revîmes avec joie la lumière du soleil.
Chemin faisant, en retournant à la maison du gardien des grottes, notre guide nous raconta qu'un étranger qui étoit venu visiter Osselles, avoit frappé le sol pour reconnoître s'il y existoit quelques cavités souterraines ; qu'ayant remarqué que plusieurs points rendoient un son analogue à celui qui, dans d'autres endroits, avoit décelé des concavités, il fit creuser à ces différentes places, et qu'après avoir fait lever une croûte de stalagmites peu épaisse, il trouva avec une satisfaction inexprimable une couche de terreau, au-dessous de laquelle se rencontroit une autre couche remplie d'une quantité considérable d'ossemens fossiles d'animaux appartenant à une espèce de haute stature (2). Notre savant ami, M. Frédéric Gevril, conservateur du Musée d'histoire naturelle de Besançon, ayant continué les fouilles, en a obtenu les succès les plus satisfaisans; il a découvert une quantité immense d'ossemens fossiles, parmi lesquels on a reconnu des dents et des os bien conservés d'ours, d'hyènes, et de quelques animaux ante-diluviens, ou que les savans nomment ainsi.
On ne quitte point les grottes d'Osselles sans un vif sentiment d'admiration pour ces sublimes curiosités formées par le hasard, ornées par le temps, contemporaines d'une ancienne création, oeuvres assidues d'une création constante et toujours nouvelle; nulle part sur la terre, le savant, le poète, le voyageur intelligent et sensible ne trouvera d'objet plus capable de nourrir sa pensée, d'éclairer son esprit, et d'enchanter son imagination.

(1) Il ne faut pas compter sur un asile propre et commode chez l'honnête meunier. La maisonnette du concierge des grottes, placée sur l'autre rive, est à préférer de toute manière. On y trouve aussi un guide et des flambeaux.

(2) Cette découverte n'est peut-être pas aussi moderne qu'on le suppose. Le nom d'Osselles, dont on a cherché inutilement l'étymologie, est fait évidemment d'Ossicula, ou Ossalia, qui signifie amas d'ossemens. Il doit s'en trouver dans beaucoup d'autres parties du sol. Quant au recouvrement de la croûte de stalagmite, qui ne devoit pas être épais, puisque cette croûte étoit sonore, cette particularité n'implique pas une longue succession de siècles. A Saint-Alyre de Clermont en Auvergne, les constructions stalagmitiques s'accroissent presque à vue d'œil, et il ne s'écoule pas une génération qui n'en ait remarqué les progrès.

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