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Jean Truel et Bramabiau

Jean Truel

Jean Truel et les profondeurs de Bramabiau

Si la descente vers le Gouffre de Bramabiau est déjà, en elle-même, la découverte d'un paysage du "bout du monde", si propre aux marches des Cévennes, passé la "Rivière du Bonheur", arrivé dans la caverne aux rochers ruisselants, éberlué par le tintamarre de l'eau qui se précipite et se heurte, tout visiteur perd en un instant, la notion du temps et du sol sur lequel il pose habituellement son pied.
Pareil à Oreste, il s'enfonce dans des profondeurs qui lui paraissent encore inexplorées. Il devine l'ancienne présence de l'homme que, dans son enfance, on lui disait préhistorique, non point avec un visage simiesque, une peau de bête le recouvrant, hirsute à souhait, mais l'homo sapiens, l'homme du passé dans toute sa grandeur, préoccupé de sa survie et de ses croyances.
Bien que Bramabiau n'ait pas laissé les peintures rupestres que nous connaissons ailleurs, le discret rappel qu'a réalisé Jean Truel est là comme un trait d'union entre ces dures périodes de l'humanité et notre monde moderne.
J'avais quelque appréhension, quelque sensation de sacrilège avant de pénétrer dans ce temple où la présence de l'homme d'autrefois, bien que discrète, est certaine, où la nature est intacte. Et puis, lorsque je vis les réalisations de Jean Truel, l'accord parfait, presque musical entre la paroi aussi dure que lisse, la couleur franche, les accords naturels, je compris qu'il n'y avait pas sacrilège mais une sorte de cantique en l'honneur de la géologie et de ce que nous appelons la préhistoire. Truel qui a vécu de longs mois sous terre, qui a conçu tant de paysages rupestres à travers le monde souterrain, a fait là une oeuvre personnelle et sincère, sans doute la première qu'un artiste contemporain ait osé réaliser.
C'est avec cette impression rassérénante que je retrouvai le jour et la campagne verdoyante, bordant la "Rivière du Bonheur". Accord parfait, symphonie mystérieuse mêlée au bruit de l'eau, telle est ma découverte de cette oeuvre rare et insolite et de ce site singulier.

Jacques Lugand, Conservateur du Musée des Beaux-Arts de Béziers