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Jean Truel et Bramabiau

Jean Truel

Peinture des gouffres et création du site pariétal de Bramabiau

Peintre avant d'être spéléologue, j'ai tout d'abord dessiné, en 1959, sur mon carnet de croquis l'Ursus spelaeus de la grotte d'Aldène de Fauzan; j'ai dessiné le même jour l'entrée de cette caverne; c'était la prise de possession symbolique de cet univers où la peinture allait me servir de guide.
J'ai peint des tableaux de chevalet dans les grottes du monde entier; je continue ce travail dans mes ateliers de Régagnas où, de la même façon que le spéléologue fait surgir dans le pinceau de sa torche l'architecture et les couleurs de la caverne, je fais apparaître sur la toile blanche cette évocation à l'aide de mon pinceau.
En 1982, j'ai commencé autour de mes ateliers de Régagnas, sur des plaques de fibrociment posées à même le sol, un labyrinthe de signes et de couleurs, ce site "structures de plein air" se développe sur un terrain de 5 000 m2 ; il subit l'érosion des éléments, comme la grotte réelle, et certains fragments peuvent être intégrés à mes tableaux.
Cette grotte extériorisée, qui symbolise toutes les cavernes et gouffres parcourus, rassemble les signes iconographiques de mes tableaux; c'est une base de départ pour une exploration allant au-delà du tableau, des supports et des cadrages traditionnels.
Quand je reviens sous terre, mon univers pictural me suit pour une action exploratoire où la peinture qui symbolise la grotte et la grotte elle-même occupent le même lieu.
Les traces laissées par le créateur apparaissent alors dans la spontanéité de l'exploration pariétale et dans la gestuelle de la composition de ce lieu pictural qui peut être vu dans sa vérité première spéléologique et picturale sans l'intermédiaire de la toile.
Commencé en mai 1990, le site pariétal de Bramabiau est la matérialisation "in situ", par la peinture et par les signes, de l'exploration de la caverne.
La lumière a changé l'espace dans l'esprit de l'explorateur; le gouffre et la caverne ne retourneront pas aux mêmes ténèbres du lieu entrevu pour la première fois; la création du peintre ouvre de nouvelles perspectives en fixant cet instant.
J'entraîne sous terre mon iconographie de l'exploration des gouffres et des grottes parcourus en équipier de pointe et les rapports avec un territoire voué aux ténèbres et révélés par l'exploration.
Mon univers souterrain que j'inscris sur les parois balise mon territoire pictural et amène à une nouvelle lecture du site de Régagnas et de mes tableaux de synthèse pour les réintégrer au labyrinthe physique de la caverne dont ils sont issus. Leur préexistance par rapport au site pariétal actuel de Bramabiau leur confère valeur d'archétypes, ils vont être les jalons, les repères pour une composition de l'espace qui prend en compte la totalité de la caverne.
Le contact direct avec la grotte, cette composition d'un lieu qui ne peut être vu que dans les parcours toujours porteurs d'une remise en cause de l'espace par leur multiplicité, va introduire une forme de récit.
Récit de la confrontation de l'art avec un monde brut qui m'amène à me questionner sur notre part d'inné dans l'action du spéléologue - celui-ci crée son propre espace - et d'acquis par la connaissance que j'ai de l'univers culturel des peintres Magdaléniens, premiers explorateurs et créateurs des cavernes.
Sous terre mes paysages familiers des gouffres et des grottes du monde vont habiter les ténèbres où ils sont réunis par les jonctions, les superpositions, les compositions que j'effectue.
Le site que l'on voit et ses lieux secrets engendrent un espace infini qui s'anime à la lumière, et dans les parcours effectués par la mémoire ou recréés sur mes tableaux, ceux-ci deviennent des objets mobiliers de cette "caverne peinte".
Dans le chaos d'un espace inorganisé j'ai la sensation constante qu'entre la matérialité de la peinture et la matérialité de la caverne, une faille s'est ouverte, un espace de ténèbres en gestation.
Celles-ci doivent être constamment explorées par la lumière et la couleur pour "inventer" de nouveaux parcours.
L'art est le fil d'Ariane qui me guide dans ces mondes où l'explorateur invente de nouveaux espaces et où son imaginaire n'est qu'une anticipation du réel.

Jean Truel