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Il y a bien
longtemps que les ténèbres souterraines
n'avaient été illuminées de couleurs et
de signes dans le dédale de leurs parois
ridées et de leurs voûtes drapées! Une
bonne douzaine de millénaires réunit, dans la
même création de l'imaginaire, les grottes
ornées par les artistes des derniers grands peuples
de chasseurs des Temps glaciaires, les Magdaléniens,
et la grotte de Bramabiau, maîtrisée par le
pinceau merveilleux de Jean Truel.
Dans la superbe caverne, Martel fit naître la
spéléologie moderne, celle qui repousse
toujours plus profondément les limites du
mystère fascinant des entrailles de la Terre. C'est
en elle, évidemment, que J. Truel développe
depuis plusieurs mois son parcours pictural de l'imaginaire,
le sien, celui de la grotte, le nôtre finalement dans
le regard échangé avec l'Oeuvre.
Peintre-spéléologue, il relève le
défi du signe là où il s'est
imposé le plus à lui, depuis ses
premières explorations des labyrinthes obscurs, voici
un tiers de siècle dans la grotte de l'Aldène,
dans l'Hérault. Ensuite, au Proche-Orient et en
Afrique, ailleurs encore en Europe et en Amérique, il
a fait des cavernes le réceptacle secret de son
inspiration. Sa grotte imaginaire a déjà
glissé de sa toile pour se déployer, depuis
une dizaine d'années, en plein soleil, ou sous la
pluie, sur les calcaires noueux des Causses, à
Régagnas: une oeuvre gigantesque, en forme
d'itinéraire fantastique, associe la nature
rocailleuse et broussailleuse aux couleurs du peintre,
oeuvre à parcourir dans un espace vivant, oeuvre
constituée peu à peu comme si le temps
participait à sa création.
Bramabiau, comme toute cavité à explorer,
impose à l'homme son architecture: un volume
enveloppant qui s'ouvre et se referme en avant et en
arrière de la lumière qui le fouille. C'est
cette lutte pour imposer à la grotte le sens de son
imaginaire, son itinéraire, que J. Truel a
entreprise. De part et d'autre de la rivière qui
saigne la caverne, il a créé un site
pariétal: l'un est descriptif sans être
vraiment figuratif; il retrace, au sens quasiment
littéral, le cheminement de l'eau dans une galerie.
La primitivité du peintre et celle de la nature,
parfois violentes, se confondent pour composer un espace
nouveau. L'autre est résolument abstrait et
synthétique : les blocs rocheux sont investis par les
couleurs auxquelles ils prêtent leurs volumes et leurs
ombres.
Comme dans son site en plein air de Régagnas, J.
Truel parcourt Bramabiau en fonction des repères
mentaux que sa mémoire enregistre au fil de la
création. Le temps, l'obscurité, les distances
entre les lieux peints, composent en lui l'immense toile
d'un univers pictural qui n'est jamais le même,
dès que de nouveaux signes s'inscrivent sur les
parois souterraines. La grotte qui, avant son intervention,
semblait se dérober à toute composition est
devenue un espace composé en sa totalité,
chargé du sens inhérent à l'oeuvre.
C'est en cela que J. Truel rejoint dans la fulgurance de sa
peinture les artistes de la Préhistoire.
Le défi du signe souterrain conduit au paradoxe du
non-sens quand son empire replonge dans l'obscurité
et l'éloignement. La grotte est conquise, mais elle
rejette finalement son conquérant, vers la vie. Ce
sont les bris de la mémoire picturale, qu'il garde de
son oeuvre souterraine, que J. Truel rassemble dans ses
somptueux et puissants tableaux de synthèse. La
grotte se projette sur les toiles en des volumes et des
couleurs magnifiquement unis. La matérialité
minérale du signe pariétal souterrain
réapparaît dans le tableau par
l'intégration de grains rocheux aux colorants.
Souvent, une des photographies couleur qui accompagnent
toujours l'artiste dans la genèse pluriannuelle de
ses oeuvres monumentales, est intégrée
à la peinture, témoin de la stratification
temporelle de l'oeuvre. Un nouvel itinéraire s'est
fait en l'artiste et se dévoile au regard et au
dialogue avec le spectateur.
Dans le tourbillonnement de la lumière et des
couleurs inscrites dans la pierre, puis retranscrites en
métamorphoses sur la toile, J. Truel nous invite
à retrouver les origines de l'art qui illuminent de
beauté l'Univers des hommes.
Denis
Vialou, Sous-directeur au Museum d'histoire naturelle de
Paris
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