Antoinette DESHOULIÈRES
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Née Du Ligier de La Garde, cette femme de lettres française (1638-1694) fut mariée à Guilhaume Deshoulières (ou Des Houlières), gentilhomme poitevin, officier aux armées de Condé. Instruite, parlant plusieurs langues, elle brilla à la cour de Bruxelles par son savoir et par sa grâce et conquit jusqu'au prince de Condé.

Après avoir subi la Fronde et la prison, elle fréquenta la cour d'Anne d'Autriche puis fut pensionnée par Louis XIV en tant que poète. Elle tint salon à Paris et fréquenta les plus grands esprits de son temps. Ses poèmes et chansons légères lui valurent une grande renommée.

En 1672, elle entreprit un long voyage pour rendre visite à des amis dans le Forez et à Lyon. Puis, elle s'arrêta dans la maison de la Charce près de Nyons, où elle séjourna presque trois ans. Elle en profita pour faire quelques excursions dans le sud de la France, notamment en 1673 à la Fontaine de Vaucluse pour rendre hommage à Pétrarque.

Ses textes ne furent réunis qu'en 1688 et, après sa mort en 1695, par sa fille Antoinette-Thérèse (dite plus tard mademoiselle Deshoulières, née en 1856), qui y mêla quelques uns de ses vers. Les rééditions furent très nombreuses au XVIIIe et se multiplièrent début XIXe, puis elle sombra dans l'oubli.


Le poème ci-contre, écrit en 1673, est extrait de Oeuvres choisies de Madame et de Mademoiselle Deshoulières, Londres, 1780,
p.5-8
 

 

 

A Melle de la Charce
pour la fontaine de Vaucluse, 1673


Quand vous me pressez de chanter,
Pour une fontaine fameuse,
Vous avez oublié que je suis paresseuse ;
Qu'un simple madrigal pourrait m'épouvanter ;
     Qu'entre une santé languissante,
Et d'illustres amis par le sort outragés,
     Mes soins sont toujours partagés.
Par plus d'une raison, devenez moins pressante,
Daphné, vous ne savez à quoi vous m'engagez.
Peut-être croyez-vous que toujours insensible,
     Je décrirai dans mes vers,
Entre de hauts rochers dont l'aspect est terrible,
Des prés toujours fleuris, des arbres toujours verts ;
     Une source orgueilleuse & pure,
     Dont l'eau sur cent rochers divers,
     D'une mousse verte couverts,
     S'épanche, bouillonne, murmure ;
Des agneaux bondissants sur la tendre verdure,
Et de leurs conducteurs les rustiques concerts.
De ce fameux désert la beauté surprenante,
Que la nature seule a pris soin de former,
Amusait autrefois mon âme indifférente.
Combien de fois, hélas ! m'a-t-elle su charmer !
Cet heureux temps n'est plus : languissante, attendrie,
     Je regarde indifféremment
Les plus brillantes eaux, la plus verte prairie ;
     Et du soin de ma bergerie
Je ne fais même plus mon divertissement.
Je passe tout le jour dans une rêverie,
     Qu'on dit qui m'empoisonnera.
A tout autre plaisir me esprit se refuse ;
Et si vous me forcez à parler de Vaucluse,
     Mon coeur tout seul en parlera.

Je laisserai conter de sa source inconnue
     Ce qu'elle a de prodigieux,
Sa fuite, son retour, & la vaste étendue
     Qu'arrose son cours furieux.
Je suivrai le penchant de mon âme enflammée,
Je ne vous ferai voir dans ses aimables lieux
     Que Laure tendrement aimée,
     Et Pétrarque victorieux.

Aussi bien de Vaucluse ils sont encore la gloire ;
Le temps qui détruit tout respecte leurs plaisirs :
Les ruisseaux, les rochers, les oiseaux, les zéphyrs,
     Font tous les jours leur tendre histoire.
Oui, cette vive source, en roulant sur ces bords,
Semble nous raconter les tourments, les transports
Que Pétrarque sentait pour la divine Laure.
Il exprima si bien sa peine, son ardeur,
     Que Laure, malgré sa rigueur,
     L'écouta, plaignit sa langueur,
     Et fit peut-être plus encore.

Dans cet antre profond où, sans autres témoins
     Que la naïade & le zéphyre,
     Laure sut par de tendres soins,
De l'amoureux Pétrarque adoucir le martyre :
Dans cet antre, où l'amour tant de fois fut vainqueur,
     Quelque fierté dont on se pique,
     On sent élever dans son coeur
Ce trouble dangereux par qui l'amour s'explique,
     Quand il alarme la pudeur.

Ce n'est pas seulement dans cet antre écarté
Qu'il reste de leur feu une marque immortelle.
Ce fertile vallon dont on a tant vanté
     La solitude et la beauté,
Voit mille fois le jour dans la saison nouvelle,
     Les rossignols, les serins, les pinçons,
     Répéter sous son vert ombrage
     Je ne sais quel doux badinage
Dont ces heureux amants leur donnaient des leçons.

Leurs noms sur ces rochers peuvent encore se lire,
     L'un avec l'autre est confondu ;
     Et l'âme à peine peut suffire
Aux tendres mouvements que leur mélange inspire,
     Quel charme est ici répandu ?
A nous faire imiter ces amants tout conspire.

Par les soins de l'Amour leurs soupirs conservés,
     Enflamment l'air qu'on y respire ;
     Et les coeurs qui se sont sauvés
     De son impitoyable empire,
     A ces déserts sont réservés.

Tout ce qu'a de charmant leur beauté naturelle,
     Ne peut m'occuper un moment.
Les restes précieux d'une flamme si belle
Font de mon jeune coeur le seul amusement.
     Ah ! qu'il m'entretient tendrement
     Du bonheur de la belle Laure !
     Et qu'à parler sincèrement,
Il serait doux d'aimer, si l'on trouvait encore
Un coeur comme le coeur de son illustre amant !