Georges GRAMONT
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Gramont

Georges Gramont (1900-1986) fut co-fondateur en 1947 de la Société Spéléologique du Plantaurel, qu'il présida pendant 26 ans, puis du Comité départemental de spéléologie de l'Aude, en 1968.

Le poème ci-contre a été publié dans l'Echo des Ténèbres, bulletin de la Société Spéléologique du Plantaurel, n°5, octobre 1979, ainsi que sur le site Internet Spélé Aude.

Ce poème a été rédigé en occitan. Une traduction française est proposée. Cette transcription n'est pas aussi riche que la version d'origine, d'une part parce que certains mots occitans n'ont pas d'équivalent en français, d'autre part parce que la musique et le rythme des mots ont disparu. Mais elle permettra aux "gens du nord" d'accéder au sens global du poème.

 

Lo Mont la Frau

 


A mos amics los espeleològs

L'estiu es arribat e la secada brula ;
Quand lo darrièr lansòl a gaireben fondut, 
Los vesètz desbocar, cap al "Pas de la Mula",
Los "fadurlos" que venan d'un mond corromput.

Marchan plegats en dos, car la còsta es redda,
Tot rajents de susor, lo còs tot empegat...
Res pòd los empachar d'atacar l'autra penda
Que los amenarà al "Abric del Sarrat".

Aici entre los ròcs davalhats de la cima
Que lo tòr e la nèu an pelat com'un nap,
Un òrri es nascut, al fonze d'una tina
Que lo cèrs en bufant acaba de rasclar.

Dedins pòdon gaudir de la patz de la vida,
Lènc del bruch, dels plasers, de la promiscuitat ;
E sa flaira de fum e de tèrra umida
Val mai que de la plana l'aire empudegat.

Mas amont sul rocàs la caunha ara badalha ;
Las escalas, las còrdas enfarniscon lo potz :
Arnescats, feralhats, s'enfonzon dins la falha
Per cercar lo passatje que mena mai enjos.

A la nuèit sortiràn, contents d'una primièra,
E descendràn crevats al Abric del Sarrat.
Aprèps un bon repaus e la cara mai fièra,
Aniràn contunhar lo travalh commençat.

Quand lo pan serà dur, o la "chapa" acabada,
Caldrà plegar botiga, mas sens tampar a clau !
E en se revirant, lo temps d'una pensada,
Diràn ambe regrèt : « Tornarem a la Frau ! »

 

 

Le Mont La Frau (traduction française)


A mes amis les spéléologues

L'été est arrivé et la chaleur brûle;
Quand le dernier névé a presque fondu,
On les voit déboucher vers le "Pas de la mule",
Les fous qui viennent d'un monde corrompu.

Ils marchent pliés en deux, car la pente est raide,
Tout ruisselants de sueur, le cou tout poisseux...
Rien ne peut les empêcher d'attaquer l'autre pente
Qui les amènera à l'Abri du Sarrat.

Ici entre les rochers descendus du sommet
Que le vent et la neige ont pelés comme un navet,
Une cabane est née, au fond d'une doline
Que le cers en soufflant achève de peler.

Dedans ils peuvent goûter à la plénitude,
Loin du bruit, des plaisirs, de la promiscuité;
Et son odeur de fumée et de terre humide
Vaut mieux que l'air pollué de la plaine.

Plus haut l'entrée du gouffre baille dans les rochers;
Les échelles, les cordes encombrent le puits;
Harnachés, ferraillés, ils s'enfoncent dans la faille
Pour chercher le passage qui mène plus profond.

Ils sortiront de nuit, contents de la première,
Et descendront éreintés à l'Abri du Sarrat.
Après un bon repos et la mine heureuse,
Ils iront poursuivre le travail commencé.

Quand le pain sera dur, ou le gueuleton achevé,
Il faudra plier boutique, mais sans ferner à clé !
Et en se retournant, le temps d'une pensée,
Ils diront avec regret: "Nous reviendrons à La Frau!"

Traduction Christophe Bès

 

 

 

Pour vous aider à comprendre

 

 


- La Frau (ou : L'Affrau): massif calcaire qui domine Montségur (Ariège) du haut de ses 1 924 m et recèle de nombreuses cavités.
-
Lansol : drap de lit. Ici, névé qui persiste alors que le manteau de neige a fondu sur La Frau et qui ne disparaît qu'en juillet.
-
Pas de la Mula : étroit passage qui permet de déboucher sur la crête dite "Roc du Tals", vers 1 400 m d'altitude.
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Fadurlos : race de spéléologues-mulets que les habitants de la région considèrent comme des fous peu dangereux.
-
Abric del Sarrat : abri construit par la S. S. Plantaurel en I973 à 1 650 m d'altitude, en pierres sèches, entre deux gros rochers, avec un toit de plaques d'herbe, à mi-chemin entre la caunha de Montségur et la Caunha de l'Arche, pour servir de refuge. A noter que cet abri est ouvert à tous, d'où l'inutilité de "tampar a clau" (fermer à clé).
-
Nap : navet
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Orri : abri de bergers, dans les Pyrénées ariégeoises. 
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Tina : cuvette à fond plat.
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Cara : visage
-
Chapa : néologisme particulier à la S.S.P., signifiant "nourriture", dérivé du verbe "chapar", manger. Un "chap" est un gueuleton.

Extrait des
Chroniques occitanes d'Antoine Cau,
mises en forme par Christophe Bès,
sur le site Internet
Spélé Aude