Pierre de RONSARD
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Ronsard

Ronsard (1524-1585), poète célèbre, est le fondateur de la Pléiade.
Parmi ses oeuvres peu connues figure un
Chant pastoral sur les Noces de Monseigneur Charles de Lorraine et Dame Claude, fille deuxième du Roi, publié en 1559, (voir le fac-simile des 19 pages de l'original).
On en trouvera ci-contre une transcription partielle, en français moderne, extraite de l'édition Bordas, 1989, coll. Classiques Garnier.

L'action de ce long poème se situe à la grotte artificielle de Meudon (Hauts de Seine).

 

 

La grotte de Meudon (extrait)


Un Pasteur Angevin et l'autre Vendômois,
Bien connus des rochers, des fleuves et des bois,
Tous deux d'âge pareils, d'habit et de houlette,
L'un bon joueur de flûte et l'autre de musette,
L'un gardeur de brebis et l'autre de chevreaux,
S'écartèrent un jour bien loin des Pastoureaux.

Tandis que leur bétail paissait parmi la plaine
Un peu dessous Meudon au rivage de Seine,
Laissèrent leurs mâtins pour la crainte des loups
Bien armés de colliers tous hérissés de clous,
Et montant sur le dos d'une colline droite,
Au travers d'une vigne en une sente étroite,
Gagnèrent pas à pas la Grotte de Meudon,
La Grotte que Charlot (Charlot de qui le nom
Est saint par les forêts) a fait creuser si belle
Pour être des neuf Soeurs la demeure éternelle.
Ces Soeurs en sa faveur ont méprisé les eaux
D'Eurote et de Permesse, et les tertres jumeaux
Du chevelu Parnasse, où la fameuse source
Prit du Cheval volant et le nom et la course,
Pour venir habiter son bel Antre émaillé,
Une loge voûtée en un roc entaillé.
Sitôt que ces Pasteurs du milieu de la rotte
Aperçurent le front de la divine Grotte,
S'inclinèrent à terre et craintifs honoraient
De bien loin le repaire où les Soeurs demeuraient.
Après l'oraison faite, arrivent à l'entrée,
Nus de tête et de pieds, de la Grotte sacrée,
Car ils avaient tous deux et sabots et chapeaux,
Révérant le saint lieu, pendus à des rameaux.

Eux dévots arrivés au-devant de la porte
Saluèrent Pallas, qui la Gorgone porte,
Et le petit Bacchus, qui dans ses doigts marbrins
Tient un rameau chargé de grappes de raisins,
Se lavent par trois fois de l'eau de la fontaine,
Se serrent par trois fois de trois plis de verveine,
Trois fois entournent l'Antre, et d'une basse voix
Appellent de Meudon les Nymphes par trois fois,
Les Faunes, les Sylvains, et tous les Dieux sauvages
Des prochaines forêts, des monts et des bocages;
Puis prenant hardiesse, ils entrèrent dedans
Le saint horreur de l'Antre et, comme tous ardents
De trop de Déité, sentirent leur pensée
De nouvelle fureur brusquement insensée.

Ils furent ébahis de voir le partiment
En un lieu si désert d'un si beau bâtiment,
Le plan, le frontispice et les piliers rustiques,
Qui effacent l'honneur des colonnes antiques;
De voir que la Nature avait portrait les murs
De grotesque si vive en des rochers si durs,
De voir les cabinets, les chambres et les salles,
Les terrasses, festons, guillochis et ovales,
Et l'émail bigarré, qui ressemble aux couleurs
Des prés, quand la saison les diapre de fleurs,
Ou comme l'arc-en-ciel qui peint à sa venue
De cent mille couleurs le dessus de la nue

[...]

Nymphes, filles des eaux, des Muses les compagnes,
Qui habitez les bois, les monts et les campagnes,
Permettez-moi chanter votre Antre de Meudon,
Que des mains de Charlot vous reçûtes en don.
Comme Amphion tira les gros quartiers de pierre
Pour emmurer sa ville au son de sa guiterre,
Ainsi ce beau séjour Charlot vous a construit
De rochers qui suivaient de sa voix le doux bruit.
Ceux qui viendront, Charlot, ou boire en ta fontaine,
Ou s'endormir auprès, se verront l'âme pleine
De toute Poésie, et leurs vers quelquefois
Pourront bien réjouir les oreilles des Rois.

Ici, comme jadis en ces vieux tabernacles
De Delphe et de Délos, se rendront les oracles,
Et à ceux qui voudront à la Grotte venir
Phoebus leur apprendra les choses à venir

[...]

Toujours tout à l'entour la tendre mousse y croisse,
Le poliot fleuri en tout temps y paroisse,
Le lierre tortu recourbé de maint tour
Y puisse sur son front grimper tout à l'entour,
Et la belle lambrunche ensemble entortillée
Laisse épandre ses bras tout du long de l'allée;
L'avette en lieu de ruche agence dans les trous
Des rustiques piliers sa cire et son miel roux,
Et le frelon armé, qui les raisins moissonne,
De son bruit enroué par l'Antre ne bourdonne,
Mais les beaux grésillons, qui de leurs cris tranchants
Salueront les Pasteurs à leur retour des champs.

Mainte gentille Nymphe et mainte belle Fée,
L'une aux cheveux pliés, et l'autre décoiffée,
Avecque les Sylvains y puisse toute nuit
Fouler l'herbe des pieds au son de l'eau qui bruit.