Spéléologie (7) | |
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L'écosystème souterrainOn appelle "écosystème" un milieu biologique limité par un certain nombre de barrières physiques et dans lequel vivent des communautés animales et végétales. Ces communautés ont des relations entre elles et avec le milieu environnant. Le but de l'écologie est de dégager ces rapports, de les quantifier et de proposer des théories générales qui expliquent ces peuplements. Le milieu souterrain constitue un écosystème très favorable, car il est bien délimité et il contient peu d'êtres vivants. Les caractéristiques physiques principales des cavernes sont: l'absence de lumière, une humidité élevée et relativement constante, une température presque invariable (à partir d'une certaine profondeur). L'obscurité absolue entraîne automatiquement l'absence complète de végétaux verts capables de photosynthèse. En conséquence, les consommateurs primaires (herbivores stricts) sont absents, et presque toutes les sources de nourriture doivent provenir du milieu épigé. Certains micro-organismes (bactéries) sont cependant capables d'effectuer des synthèses organiques dans l'obscurité, mais leur contribution à la balance énergétique de l'écosystème est quantitativement faible. Ils peuvent cependant intervenir dans l'alimentation des formes cavernicoles jeunes (Niphargus, par exemple), qui dévorent l'argile. La biomasse totale existant dans une caverne donnée est faible. Presque toute l'énergie disponible provient de deux sources extérieures. Un premier apport, très important, est constitué de détritus végétaux et d'organismes de petite taille entraînés par les eaux souterraines (eaux de percolation et eaux libres). Le second apport provient de l'entrée régulière d'organismes actifs (trogloxènes) "non consommateurs" qui viennent peupler l'écosystème. L'exemple le plus frappant est celui des chauves-souris qui vont se nourrir au-dehors, mais dont le guano libéré dans les grottes est le point de départ d'une faune inféodée considérable. D'autres animaux trogloxènes (Lépidoptères, Coléoptères, Diptères, Trichoptères) sont également à la base de chaînes trophiques particulières où les consommateurs sont constitués par des animaux troglophiles et troglobies. Une étude systématique d'un milieu relativement simple comme l'écosystème souterrain permet de mettre en évidence les relations et les échanges qui existent au sein d'une communauté et surtout d'apprécier les mécanismes de régulation qui maintiennent le système en équilibre malgré les variations importantes des apports énergétiques. On peut ainsi supposer que les capacités de résistance au jeûne de diverses formes troglobies aquatiques (Poissons, Crustacés) constituent un élément important de stabilisation des populations. De même, les capacités très larges des troglophiles de s'adapter à des sources de nourriture diverses constituent aussi un facteur non négligeable de régulation. L'écosystème souterrain apparaît ainsi comme un champ d'observation et d'expériences unique pour les études théoriques d'écologie pouvant amener à des synthèses et à des généralisations applicables à d'autres milieux. Origine des cavernicolesCe sont les régressions caractéristiques des troglobies, en particulier celles qui apparaissent à l'examen superficiel comme l'anophtalmie et la dépigmentation, qui ont surtout retenu l'attention des biologistes lorsqu'ils ont commencé à s'intéresser aux cavernicoles. L'existence d'animaux aveugles et incolores dans le milieu souterrain perpétuellement obscur constituait, à première vue, un argument de poids pour la thèse lamarckienne qui attribue toutes les variations de l'organisme à l'usage et au non-usage. Il était en effet logique de supposer, dans cette perspective, que la disparition de l'oil et des pigments cutanés résultait du non-usage de ces caractères dans l'obscurité. Cependant, outre que cette hypothèse a été abandonnée de longue date parce qu'elle s'appuie sur l'idée ancienne de l'hérédité de l'acquis, elle ne prend en considération que le cas des troglobies et néglige entièrement les troglophiles et les trogloxènes. C'est la théorie de la sélection naturelle qui fournit le premier fondement théorique nécessaire à l'explication des phénomènes d'évolution régressive. Darwin lui-même aborde du reste cette question de façon explicite. Sans discuter le problème de l'origine même des cavernicoles, il estime qu'un organe formé par l'action de la sélection naturelle peut dégénérer si celle-ci ne le contrôle plus. Cela signifie qu'un organe qui n'est plus essentiel pour la survie de l'animal, en raison d'une diminution de la compétition, peut varier et finalement tendre à disparaître. Darwin cite à l'appui de cette thèse le cas des rats cavernicoles du genre Neotoma et celui, plus caractéristique, du Poisson troglobie Amblyopsis spelaea. Il faut toutefois noter que Darwin estime que l'absence d'usage de l'oil, au sens lamarckien, est à l'origine de la décroissance du contrôle sélectif. Depuis l'Origine des espèces, diverses théories ont vu le jour. Elles ont toutes été partiellement inspirées par la théorie de la sélection naturelle et par le concept de préadaptation (Cuénot) tel qu'il a été défini plus haut à propos des troglophiles. C'est toutefois à partir des progrès réalisés dans l'étude de la génétique des populations que les mécanismes du peuplement souterrain et de l'inféodation irréversible des troglobies ont été clarifiés. C. Hubbs (1938) et C. Kosswig (1963-1965), en particulier, ont contribué par leurs travaux à préciser les idées en ce domaine. Insistant sur les effets de la pléiotropie (action diversifiée d'un même groupe de gènes), Kosswig estime que les régressions peuvent s'accompagner d'une augmentation du taux de fécondité, effet qui viendrait s'ajouter aux conditions favorables résultant de la décroissance de compétition. Kosswig a également procédé à de nombreuses expériences d'hybridation entre individus cavernicoles et individus appartenant à la forme ancestrale épigée (les Poissons Anoptichthys et Astyanax, ce dernier étant l'ancêtre). Il a pu mettre en évidence de cette manière l'extrême variabilité de l'oil et des pigments traduisant, à son avis, une instabilité critique susceptible d'orienter les formes cavernicoles vers la troglobiose irréversible. L'accumulation de gènes mutés à valeur sélective neutre exercerait une action unilatérale dans cette direction en raison de la diminution de la sélection. Les cavernicoles tendraient de cette façon à produire des populations d'homozygotes dégénérés. Ces vues, qui rejoignent particulièrement celles de Hubbs, permettent de définir les cavernicoles comme des formes résultant de l'action combinée d'une pression mutatoire (variable selon le genre et entrant en principe dans le cadre de la préadaptation) et de la pression sélective (faible ou même nulle dans les milieux souterrains). D'autres théories ont insisté sur l'importance de la diminution du taux métabolique observée chez de nombreux cavernicoles tant troglophiles que troglobies. L. Fage (1931) a pu montrer que les Araignées cavernicoles présentaient un abaissement caractéristique du taux métabolique. La formation des pigments, processus d'oxydation spécifique, sera dont atteinte au premier chef chez les organismes peuplant les milieux souterrains. Dans le cas particulier des Araignées, la diminution de la mélanine (pigment noir) oculaire pourrait, de cette façon, être considérée comme la cause la plus probable de la cécité constitutionnelle de ces animaux. Dans un même ordre d'idée, H. J. Heuts (1951) estime que la diminution des capacités de régulation constitue le trait essentiel des animaux cavernicoles, de telle sorte qu'ils subissent passivement le régime énergétique du milieu. La biologie des cavernicoles a permis de dégager quelques mécanismes fondamentaux de l'adaptation au milieu souterrain. Ceux-ci ont été regroupés sous le concept d'évolution régressive. Cette expression se justifie avant tout par le fait que les troglobies subissent des déficits organiques phylétiquement déterminés et permettant de les définir comme des formes autonomes par rapport à leurs ancêtres épigés. C'est la raison pour laquelle les systématiciens ont classiquement décrit les formes cavernicoles comme des espèces distinctes des formes ancestrales. Il y a lieu de remarquer que ni les trogloxènes ni les troglophiles ne subissent de régressions au sens qui vient d'être indiqué. Le problème du passage graduel de l'état troglophile à l'état troglobie est loin d'être tranché. Les études génétiques de Kosswig (1965), de même que la distinction capitale de Vandel (1964) entre cavernicoles anciens et cavernicoles récents, fournissent toutefois une contribution importante à la solution de ce problème. BibliographieArchéologie souterraine- A. BLANCHET, Les Souterrains-Refuges de
la France, Paris, 1923, rééd. Picard, Paris,
1983 Spéléologie technique et physique- A. BÖGLI, Karst Hydrology and Physical
Speleology, Berlin, 1980 Biospéologie- B. CROUAU-ROY, Spéciation et structure
génétique des populations chez les Coléoptères
speonomus, Société de biospéléologie,
Saint-Girons, 1987 |
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