La Fée de Bornay | |
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Extrait de Gabriel Gravier, 1982, Franche-Comté, pays des légendes, tome II, p.111-118
En associant ces accidents aux deux grottes situées au pied de la montagne, aux tombeaux recouverts de laves du lieudit Les Fosses, au château de Bornay et à la tour de Mont-Orient, sise au territoire de Géruge, on dispose des principaux éléments utiles à la légende de la fée de Bornay. Le sujet, mis en vers par Gindre de Mancy, originaire de Vaux-sous-Bornay, brièvement évoqué par Désiré Monnier en 1854, a fait l'objet, en 1930, d'un charmant récit dû à la plume de Camille Vuillame. En hommage au conteur dont on pourra ainsi apprécier le talent, nous donnons ci-après le texte de cette légende, tel qu'il fut publié par l'auteur. "Il y avait une fois une jeune et jolie fée qui habitait un magnifique château tout en marbre, qu'avec sa puissance magique elle avait construit sur le sommet le plus élevé des collines qui entourent le val de Bornay, à deux bonnes lieues au sud de Lons-le-Saunier. "Elle y vivait au milieu de sa cour de sylphes, de lutins, de dames blanches qui la servaient et l'amusaient. Cependant son existence lui paraissait monotone parce que nul mortel ne pouvait arriver jusqu'à sa demeure inaccessible. "Un jour, les dames blanches lui apportèrent un jeune homme qu'elles avaient trouvé aux trois quarts mort au pied des rochers, du haut desquels il était tombé en essayant d'arriver jusqu'au château. Auprès de lui, une vielle et un théorbe brisés, leur avaient appris qu'il était un de ces gais ménestrels qui allaient de château en château, chantant leurs chansons de geste et d'amour. "Grâce aux remèdes secrets et merveilleux de la fée, il recouvra la vie et bientôt la santé. Pour remercier sa bienfaitrice, il lui fit entendre chaque jour ses lais les plus tendres et il composa pour elle des sirventes dans lesquels il célébra sa beauté et ne craignit pas de lui déclarer qu'il l'adorait. "C'est une vérité vieille comme le monde que souvent "l'amour appelle l'amour" ; aussi la jolie fée ne resta point insensible à la passion du gentil ménestrel; elle le garda auprès d'elle, et ils s'aimèrent si bien qu'un beau jour vint au monde une mignonne petite fille à laquelle ils donnèrent le nom d'Ida. "Mais la reine des fées, qui parcourait son royaume, fut fâchée de découvrir qu'une de ses sujettes avait ainsi gravement manqué à ses devoirs. Elle lui annonça qu'elle allait enlever de sa présence le ménestrel et qu'elle la laisserait auprès de sa fille jusqu'à sa seizième année, mais alors il faudrait qu'elle, sa mère, l'abandonnât pour se rendre dans l'île d'Erin, où elle passerait cent ans, après quoi elle rentrerait dans son château si sa fille avait su le garder. "L'enfant grandissait, sa mère lui permettait de se mêler aux jeux et aux danses des fillettes du hameau voisin; sous l'ombrage des bois, elle chantait d'une voix divine des airs qu'accompagnait le chalumeau rustique; elle avait le pouvoir d'écarter la grêle et les orages et elle en usait pour protéger les récoltes des paysans qui la bénissaient. Elle vivait heureuse, car chacun la chérissait et s'empressait à lui plaire; aimable et douce, son coeur tendre et sensible la portait à secourir les malheureux dont elle était la providence. C'était l'âge d'or pour le vallon de Bornay. "Elle venait d'atteindre sa seizième année; elle était d'une beauté ravissante, "gracieuse vierge aux cheveux d'or, à la taille svelte et fine". L'instant fatal était arrivé où sa mère lui devait révéler le secret de sa naissance et se séparer d'elle. "Au moment de son départ, en la laissant maîtresse absolue dans son castel et son domaine, elle lui recommanda de toutes ses forces de fuir l'amour d'un mortel, afin d'éviter un châtiment aussi cruel que celui qu'elle-même allait subir. "La belle Ida pleurant promit tout ce que lui demandait sa mère qui, en s'éloignant, eut la suprême précaution pour que sa fille fût bien protégée, de faire de nouveau écrouler les uns sur les autres d'énormes rochers qui fermèrent le val. "Non loin du château de la jeune fée, s'élevait sur une autre colline le castel du seigneur de Géruge qui, depuis trois ans, était parti pour la Palestine combattre les Infidèles. Il en avait confié la garde à son fils Arthur, noble et gentil chevalier, instruit dès l'enfance dans les armes, adroit à jouter du glaive et de la lance. Bien qu'il eût à peine vingt ans, il s'était déjà signalé dans plusieurs tournois et il était impatient d'acquérir dans les combats, par sa vaillance et son intrépidité, honneur et renom. Pour tromper son ardeur guerrière, il n'avait d'autre distraction que la chasse aux fauves, à laquelle il s'adonnait avec passion. "Un jour il poursuivait depuis longtemps un ours énorme dont sa meute n'osait approcher. Il se voyait sur le point de l'atteindre, quand l'horrible bête s'enfonce dans une caverne au bas de la montagne. Le chevalier saute de son cheval et se précipite derrière elle, l'épée à la main. Bientôt les ténèbres le font hésiter dans sa marche: il se dirige vers un filet de lumière qu'il aperçoit dans le lointain: après bien des détours, il arrive sur le revers opposé de la montagne et il s'arrête surpris du merveilleux spectacle qui s'offre à ses yeux étonnés. "Sous ses pas s'ouvre une vallée verte et fleurie, dans laquelle murmure un ruisseau et que remplit le doux gazouillement d'une multitude d'oiseaux aux plumes bigarrées. Par un sentier bordé de lilas et de jasmins qui embaument l'air de leurs suaves senteurs, il descend jusqu'à un petit lac dans lequel s'ébattent une multitude de poissons variés; il erre sur ses rives, étonné de ne rencontrer personne dans un lieu aussi enchanteur . Fatigué de sa journée de chasse, il s'assied au pied d'un grand chêne pour se reposer; peu à peu, le sommeil le gagne; il s'étend sur le gazon tout émaillé de fleurs et il ne tarde pas à s'endormir. "La nuit commençait à étendre son voile sur la terre; l'azur plus sombre du ciel se parsemait d'étoiles et la lune se levait derrière la colline. C'était l'heure où sylphes, follets, dames blanches et lutins forment des rondes et se poursuivent en foulant l'herbe d'un pied léger. Ida avait franchi l'enceinte du château et courant sur la pente de la colline, elle arrive au fond du vallon. Tout à coup elle s'arrête interdite et son coeur frémit. Aux rayons argentés de la lune, elle voit le beau chasseur endormi ; ses cheveux noirs flottent épars autour de son visage, sa bouche sourit. La jeune fille se sent rougir; elle est agitée d'un trouble inconnu; son coeur bat plus vite; elle ne se rend pas compte des sentiments qui l'agitent, mais elle ne peut détourner ses regards du jeune homme. "En se livrant à leurs jeux, ses compagnes sont arrivées auprès d'elle : silencieuses, elles contemplent leur jeune maîtresse et le jeune étranger. A un signe d'Ida, sans le réveiller, elles l'enlèvent sur leurs bras et vont le déposer sur un lit dans le château. "Le soleil brille radieux, la brise parfumée du matin caresse son front, quand il est tiré du sommeil par le bruit léger des sylphes qui reviennent de leurs ébats nocturnes. Où est-il ? Que lui est-il arrivé ? Est-il l'objet d'un songe ou de quelque enchantement ? Il se lève et à ce moment, la belle Ida, la vierge aux cheveux d'or, paraît devant lui. "Etonné et muet, il la contemple avec ravissement; elle-même, timide et rougissante, n'ose pas lever les yeux sur lui. Il tombe à ses pieds et d'une voix mal assurée, il lui adresse ces paroles : - Aimable souveraine de ces lieux, daignez m'expliquer comment je me trouve en votre présence, car je ne me souviens nullement de la manière dont j'ai pu venir jusqu'en votre demeure. Quand je l'aurai quittée, votre adorable image ne s'effacera jamais de mon esprit. "La jeune fille le regarde en souriant et lui répond : - Etranger, j'ai deviné à votre costume et à votre mine que vous êtes un seigneur des environs qui s'est égaré à la chasse. Acceptez l'hospitalité dans ce château et usez-en aussi longtemps qu'il vous plaira d'y demeurer . "Hélas! l'innocente pauvrette, oubliant les conseils et la leçon de sa mère, se laissait prendre à son insu aux charmes de l'amour; insensiblement sa passion pour le chevalier s'accrut, et pendant une année, s'aimant de toute leur âme, ils vécurent ensemble dans une sorte d'extase, au sein du vallon enchanté. "De bien brefs instants, il retournait en son castel. Pour que le voyage lui fut plus aisé et son absence plus courte, la jeune fée avait jeté entre les deux collines un pont merveilleux qui se tenait suspendu sans arche dans les airs. "Mais les deux amants qui trop heureux oubliaient le reste du monde, allaient faire la triste expérience qu'ici-bas aucune félicité n'est durable. "Un matin, Arthur quittait le manoir paternel, et monté sur son destrier il se hâtait vers son amie, quand un cavalier tout poudreux se précipite à sa rencontre en lui présentant une épée. - Arrêtez, seigneur, lui dit-il ; et oyez la triste nouvelle que je vous apporte de Palestine. Votre père, le seigneur de Géruge, est mort en brave paladin sous les murs de Jérusalem, mais avant de rendre son âme à Dieu, il m'a chargé de vous avertir de son trépas et de vous léguer son glaive et le soin de le venger. "Qu'ils furent cruels et déchirants les adieux des deux tendres amants ! Ida ne peut que gémir et pleurer; il la console de son mieux par des baisers et de douces paroles; il lui promet de bien l'aimer toujours; de lui envoyer de fréquents messages et une fois accompli le voeu qu'il a fait de venger son père, de revenir lui consacrer sa vie. Il s'arrache non sans efforts des bras de la jeune fée et le coeur serré des maux que leur prépare une longue absence, ils se séparent enfin. "Avec les preux de Comté, les sires de Vergy, de Dampierre, de Traves et bien d'autres, il court se ranger sous les ordres du comte de Chalon qui va suivre l'étendard de l'empereur Frédéric Barberousse. "Arrivés en Asie, ils chassent les Sarrasins jusqu'aux rives du Cydnus ; mais là s'engage un terrible combat dans lequel, écrasé sous le nombre de ses ennemis, Arthur de Géruge succombe en prononçant le nom d'Ida. Au même instant, celle-ci est avertie par un secret pressentiment de la mort de son amant. Néanmoins, malgré sa tristesse, elle conserve encore quelque espoir, jusqn'au jour où un drapeau noir déployé au sommet du donjon de Géruge lui apporte la certitude du trépas de son seigneur. "En l'apercevant du haut de sa tourelle, elle tombe pâmée; ses dames blanches l'y trouvent gisante et inanimée. Quand elle a recouvré ses sens, elle verse d'abondantes larmes et souhaite de mourir. Elle s'abandonne à un violent désespoir; elle parcourt hagarde et échevelée tous ces lieux témoins de leur bonheur et à grands cris redemande son Arthur. "Peu à peu le calme revient dans son âme troublée, elle ordonne aux esprits qu'elle gouverne de lui rapporter par les airs le corps de son amant ; elle lui fait élever un tombeau dans la grotte où la rivière appelée depuis la Sorne, prend sa source; jour et nuit, amante désolée, elle reste seule auprès du funèbre monument, mêlant au bruit de l'eau ses soupirs et ses sanglots. "Lorsque le siècle de son lointain exil fut écoulé, sa mère revint à Bornay. La solitude profonde de la vallée, la vue de son château abandonné lui révélèrent aussitôt son malheur. Elle appelle sa fille, l'écho seul lui répond. Elle la trouve enfin dans la grotte, pleurant sur un tombeau ; par ses prières et par son pouvoir, elle l'arrache de ce triste séjour; elle la place auprès d'elle sur un char qui s'élève dans les airs. Elle prononce un mot magique, la terre tremble, les monts s'affaissent, et, soudain, disparaissent château, jardins, pont suspendu. "Il y a cinquante ans, il restait encore quelques rares débris du pont et des ruines du château dans lesquelles au crépuscule, on voyait errer "un blanc fantôme aux contours gracieux". C'était Ida la fée qui revenait visiter le vallon qui lui était cher pour retrouver un tombeau disparu. Ceux qui prêtaient attentivement l'oreille distinguaient dans la brise du soir les soupirs étouffés qui s'exhalaient de sa poitrine." En évoquant le fameux pont de Bornay, Désiré Monnier écrit, non sans humour: "Nous sommes venus trop tard au monde pour admirer de nos propres yeux l'un des ouvrages les plus grandioses de nos bons génies". Plus loin, il reconnaît que la légende de la fée de Bornay "ne serait point arrivée tout entière jusqu'à nous". Ce serait donc d'après une relation incomplète, que Jean-Baptiste Gindre, dit Gindre de Mancy, né en 1797, soit neuf ans après Monnier, aurait composé son poème. Et, de toute évidence, Camille Vuillame s'en est inspiré pour rédiger son récit. "Le blanc fantôme aux contours grâcieux", vers que cite notre conteur, est extrait du poème de Gindre, qui parut dans "Les Echos du Jura" et dont Monnier a reproduit les passages suivants : "Viens, le printemps rit et nous accompagne ; "Le poète, dit Monnier, qui raconte ensuite les amours d'Arthur et d'Ida, constate aussi l'existence du fameux pont" : "Un pont dans l'air, entre les deux collines, "La pièce, ajoute Monnier, se termine par une catastrophe et par les apparitions d'Ida près de l'ancien donjon." "Souvent encor, là, quand le crépuscule Bibliographie :
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