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Jean Truel

Origines de l'Art
Origines de l'Art

 

EXPLORATEUR D'ESPACES

La peinture et l'exploration ont été intimement liées dès l'origine. Les peintres Magdaléniens ont été les premiers explorateurs des cavernes: avec cet acte fondateur, ils ont été les premiers aménageurs de cavernes en "espace artistique".
Nature et Culture sont ainsi intimement liées dans les grottes ornées préhistoriques. La même dénomination "grotte ornée" s'applique aux ornements naturels des grottes à concrétions et à celles aux dessins préhistoriques.
La distinction entre art naturaliste et art abstrait, employée aussi pour distinguer les animaux "réalistes" des figures stylisées ou des signes abstraits, continue cette ambiguïté entre le naturel et le culturel, le concept d'abstraction est le résultat d'une élaboration perçue organiquement quand il s'agit d'affronter l'inconnu: "Vivre le labyrinthe" avec la reptation dans les passages étroits, se lancer dans l'espace caverne avec l'escalade, marcher pour arriver au contact avec les éléments primordiaux.
L'émergence des symboles est issue de l'action quand l'explorateur fait parler cette matière calcaire conçue au fond des mers pour être ensuite sculptée par l'eau créatrice de l'espace caverne.
L'art apparaît à l'époque Aurignacienne, il y a plus de trente mille ans. Ce sont les hommes Magdaléniens (Lascaux a été créée il y a environ 16.000 ans), qui ayant réalisé leurs conceptions de leur univers artistique sont devenus les premiers explorateurs de cavernes.
Ils ont exploré les grottes en "entraînant sous terre" leur fabuleux bestiaire et leurs signes abstraits; leur univers aujourd'hui disparu, continue à vivre sur les parois des grottes ornées grâce à leur art. La grotte est donc un lieu où les ténèbres minérales contiennent des formes et des couleurs non révélées. L'explorateur qui "invente" ces lieux les révèle et contribue par ce fait à leur devenir. Il est le seul à dissiper les ténèbres et à voir la nature souterraine élaborer ses formes dans ce laboratoire secret hors de toute lumière solaire.
Cette illumination des ténèbres a changé la "nature de la grotte", le peintre fixe cet instant; les ténèbres, qu'il installe sur les parois ne peuvent évoluer que par l'acte de peindre; seules les couleurs peuvent les révéler ou leur conserver leur mystère.
Tôt ou tard l'image remplace le contact direct, la sensation corporelle du réel découvert pour la première fois dans l'exploration; la nature sauvage ne peut se perpétuer que par l'art qui en est issu.
Sur les parois de la caverne, la peinture est là pour attester que l'art est né dans la nature et reste le gardien de son mystère initial. Le peintre matérialise l'exploration et l'évolution de notre perception dans des lieux engendrés par la découverte d'espaces inconnus. Celle-ci entraîne une mutation de la nature déjà en perpétuelle évolution et la perception nouvelle de cette transformation lie organiquement l'initiateur à son propre univers, l'entraînant dans une perpétuelle métamorphose.
Toute action exploratoire est un changement du milieu naturel; par là même, l'explorateur participe à cette évolution. L'art matérialise ce commencement et nous montre le caractère indissociable de la nature et de la culture, dès l'origine de l'humanité et de la création des outils de pierre.
Il le marque tout autant dans la perpétuelle évolution depuis l'époque des grands chasseurs paléolithiques, "peintres des cavernes" puis des agriculteurs à l'époque néolithique et avec une nouvelle organisation de l'espace, pour l'époque du tourisme avec la "mise en scène d'espaces sauvages".
La nature sauvage ne peut se perpétuer que par l'art des découvreurs d'espaces; les Aborigènes d'Australie continuent de faire vivre le "temps du rêve" gardant à la nature ses caractères originaux.
L'espace pariétal lie à travers les âges l'action de certains éléments - l'eau créatrice qui a creusé la grotte à l'action du peintre. Ce dernier invente un nouveau mythe inspiré du spectacle habituel de ce qui a été créé dans le lointain des âges, il découvre un archaïsme de la recherche qu'il transpose dans une vision moderne.
Le langage pictural des origines de l'exploration et de l'Art continue son évolution à l'intérieur des Cavernes.
L'explorateur moderne transpose son propre univers, la grotte elle-même, la grotte sauvage qu'il inscrit sur les parois de la Caverne et qui ne peut se perpétuer que par son Art.

Jean Truel