Je veux prêter ma voix au paysage:
qu'elle soit limpide et franche (un lac) le
rire infantile d'un ruisseau d'altitude grondement du
torrent dans les gorges.
Prêter mes mots aux brumes du soir les
plus ténus, les plus feutrés. Mon
poème sera cela : la voix du paysage. Des
sources papoteront dans ma gorge, des oiseaux
se chamailleront sous ma langue des fougères
feuleront entre mes dents et dans mon dernier
souffle chantera encore une brise de soir
d'été. Je sèmerai du verbe aux
quatre coins du monde et je retournerai les
parcelles en friche pour y faire pousser une
vigne insolite dont le vin roulera dans les
bouches comme une musique.
Je chanterai le réséda né
d'une perle d'eau dans la nuit du désert.
Je chanterai la neige renonçant à
l'été.
Je chanterai les feuillages renonçant
à l'hiver, et les bourgeons, aussi, les
ronces, l'iris sauvage, et le moindre caillou et
les pics et les plaines inertes. Je dirai
l'homme-arbre aux pieds enracinés, bras-ramures,
je dirai l'homme-poisson l'homme-oiseau l'homme-terre Ma
poitrine est une montagne où résonnent les
interstices du karst gueulant les crues printanières.
Ma poitrine est une caverne où se cache
la nuit
Les rapaces y poussent des cris déchirants kyrielles
de grenouilles s'y interpellent.
Ma poitrine est une caverne où résonne
l'orage. Droit devant moi, mon nez creuse
un sillon où je m'écoule, comme
un fleuve sans pente trouve une rigole qui
conduit à la mer.
Je veux, par les racines de ma langue aller
puiser au fond du sol, dans la fêlure des
roches, les mots qui manquent, les mots oubliés, le
chant tu de la Terre, ses souvenirs d'étoile.
J'avais le regard vierge et la mémoire
vide. Je venais de naître portant sur
mon visage, sur mes mains, sur ma peau, les
stigmates de mon histoire.
J'avais le regard vierge et je venais de naître.
Et j'ai ouvert les yeux J'ai ouvert mes poumons pour
découvrir le monde j'ai respiré,
écouté, touché du bout des
doigts ce qui était à ma portée.
Je n'ai jamais pensé qu'il fallait
repartir j'avais perdu mes ailes mais je savais
marcher.
Alors j'ai pris la route j'ai foulé
la poussière j'ai sué sur les pentes de
monts inaccessibles j'ai usé tous les
caps j'ai maudit ma boussole j'ai marché
sans relâche jusqu'à me trouver
là, assis, regardant le soleil sombrer
dans l'Atlantique.
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