Adoré FLOUPETTE | |
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Mon vieil ami et camarade de classe, Adoré Floupette, poète décadent, est
venu l'autre jour me faire une proposition singulière. Il s'agissait d'écrire
une préface à son étonnant recueil de vers, les Déliquescences. Tout
d'abord je me suis récrié comme un beau diable : «Mais, Adoré, tu n'y penses
pas. Moi, simple pharmacien de deuxième classe, rue des Canettes, un
potard, comme on dit dans le monde, servir d'introducteur à un homme
comme toi ! On en rira longtemps au «Panier fleuri». Malheureusement, Adoré a
tenu bon. Comme de juste, il méprise profondément le public. Un ramassis de
crétins ! se plaît-il à dire dans l'intimité. Pourtant son dédain ne va pas sans
un peu de pitié. Au fond, il est bon garçon ; il sent bien qu'il faut faire
quelque chose pour ceux qui n'ont pas eu, comme nous, la chance d'être initiés
au grand Arcane. Des niais, soit, mais ce n'est pas leur faute. Ils ne
savent pas ; voilà tout. Quant à répandre lui-même la bonne parole,
Floupette n'y saurait condescendre ; on ne peut raisonnablement l'exiger de lui.
Il plane, c'est sa fonction, ne lui en demandez pas davantage. |
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C'est ainsi que moi, droguiste indigne, je me trouve, à ma grande surprise, devenu le Louis Figuier de la poésie de l'avenir. Réussirai-je dans cette tâche ardue ? Je n'ose l'espérer, mais, comme dit le fabuliste (encore un qui n'est pas dans le train) : J'aurai du moins l'honneur de l'avoir entrepris. Avant tout, quelques détails biographiques sur l'auteur des
Déliquescences me semblent indispensables : |
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C'est en 1873 que je retrouvai notre ami au Lycée de Lons-le-Saulnier. Ah !
le cher Adoré ! Je le vois encore. Joufflu comme un chérubin et rose comme une
pomme d'api, avec un nez en pied de marmite, de gros yeux ronds à fleur de tête
et un ventre rondelet qui déjà s'annonçait comme devant bedonner un jour, il
avait l'air d'une lune en son plein, joviale et tout à fait bonne fille. On ne
peut pas dire qu'il eût de grands succès dans ses classes. S'il avait voulu, il
est évident que personne ne l'aurait surpassé, mais il ne voulait pas. Il était
trapu, en dedans. Cela lui suffisait. Déjà, au surplus, la passion de
l'histoire naturelle l'avait envahi. Sa sollicitude s'étendait à tous les
insectes connus, et son pupitre était comme un hôpital à l'usage des scarabées
malades et des coléoptères éclopés. Et puis la muse commençait très fort à le
taquiner. |
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mençaient à nous monter au cerveau, nous entonnions joyeusement, en scandant le rythme à coups de talons, l'ode d'Horace : Nunc est bibendum, nunc pede libero Et, tout à coup, Floupette, se levant d'un air inspiré, les cheveux en coup de vent, déclamait sa description de la tempête :
A la nature entière, effroyable présage, Darde ces traits bruyants, qui portés aux échos Font redouter au loin le retour du chaos. Les animaux tremblants regagnent leurs tanières, etc. Nous avions le culte de la périphrase, comme il convient à des classiques
renforcés et nous pensions sérieusement que Racine était très fort. J'en
rougis un peu. Il y avait là Dorémus, qui est maintenant receveur de
l'enregistrement, Guillonet, qui ne se doutait pas qu'il serait un jour la fleur
des agents voyers, et Chapoulet, qu'on appelait le fifi, parce qu'il
était le favori du pion, et le petit Caillot et le gros Cocogne, enfin toute une
bande de joyeux potaches, aujourd'hui dispersés, Dieu sait où. C'était le bon
temps. |
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