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Dehors, l'eau n'est que bruissement, pour
le bonheur de la fertilité. Elle perle
sur les feuilles des arbres, pénètre
dans les interstices de la terre, rejaillit à
la lumière des vallées, éclate
en cascade, déferle dans la mer, tisse
la gamme des sons, répond à la
ronde des oiseaux.
Dedans en écho, le murmure des eaux est
encore assourdi, la matière ruisselle
dans l'ombre, éclôt en dentelure, protégée
par une nuit sans fin.
Dehors, les millénaires chevauchent les
siècles, Gilgamesh poursuit ses songes
d'immortalité dans la forêt des
cèdres. Les cités-états
précèdent les empires, les invasions
succèdent aux batailles, et Alexandre
est aux portes de Tyr.
Dedans, la grotte préservée des
convoitises est une citadelle imprenable, voûte
à l'abri du temps et de l'espace, peuplée
de stalactites, de colonnes, de piliers, de gours,
de draperies et du cri des chauve-souris.
Dehors, les cyclamens et les anémones parsèment
les collines d'Adonis. Les hommes, rivés
aux mythes et aux dieux - Bel, Yahvé ou
AIIah -, attendent d'exister par et pour eux-mêmes.
Dedans, la nature dort dans son calice, le
silence ourle la durée : goutte à
goutte, le calcaire durcit, se dresse en stalagmite
et le clapotis de l'instant devient éternité.
Dehors, d'une époque à l'autre, tumulte
et guerre, violence et horreur, sang et malheur, humanité
absurde, qui pourtant poursuit un espoir inlassable.
Dedans, les concrétions, cocon protecteur, enferment
les bruits, prisonniers de l'espace, en attente
d'être révélés.
Dehors un jour de notre temps, l'explorateur
et son équipe s'affairent autour de la
grotte, en découvrent par miracle l'orifice, y
pénètrent éclairés par
leur torche s'émerveillent de l'intacte
beauté.
Les sens en extase, ils crient leur joie. L'écho
est immense et le temps aboli : nuit et jour
confondus, l'écoute tendue fait du moindre
bruit l'image d'un son.
Dedans l'angoisse les saisit quand un danger
guette, chute de pierres ou bloc rocheux, hésitant
au sommet d'un éboulis, attente de l'explosion
d'un son.
Menace qui rappelle le risque des gouffres, mais
l'ivresse de la nuit les grise, ô bonheur
de l'être ! quand tout est calme et maîtrisé dans
l'antre de la terre.
Dehors, il vint sur le vaisseau Nadir, se
poser sur un rivage favorable, le musicien du
son. Jeîta l'attendait de toute durée, visiteur
de l'ailleurs, capteur de l'inaudible matière messager
des musiques nouvelles.
Dedans, il découvrit la concordance entre
la transmission intacte et son nouveau langage
des sons. Plus de description, mais une musique jaillissant
de l'inconscient de la grotte comme de l'intérieur
de l'être.
Dehors le musicien a libéré ce
qui était abrité au dedans. La
nature s'est faite sonorité. Abandonnant
les méandres du récit, il a offert
à l'oreille le langage des fleurs de pierre.
Dedans et dehors se sont alors conjugués, le
temps d'un concert inaugural où la lumière
assaillit la pénombre, et la musique fit
résonner les espaces inhabités.
Au carillon des cloches fossiles succède
le murmure des abeilles minérales. Aux
jeux d'eaux, les bouches d'ombre, multipliant
le rêve valorisant l'oracle, et scellant
pour toujours l'alliance de l'émotion
et du rêve d'une musique pure.
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