Cet écrivain
naturaliste (1850-1893) est connu surtout pour ses
contes et nouvelles (Le Horla, etc.) et ses
romans (Une Vie, Bel Ami, etc.). On
lui doit aussi quelques poèmes, telle cette
Légende de la Chambre des Demoiselles.
|
|
Légende de la Chambre des Demoiselles à Étretat
|
|
Lentement le flot arrive Sur la rive Qu'il berce et
flatte toujours. C'est un triste chant
d'automne Monotone Qui pleure après les beaux
jours.
Sur la côte solitaire Est une aire Jetée
au-dessus des eaux ; Un étroit passage y mène, Vrai
domaine Des mauves et des corbeaux.
C'est une grotte
perdue, Suspendue Entre le ciel et les mers, Une
demeure ignorée Séparée Du reste de
l'univers.
Jadis plus d'une gentille Jeune
fille Y vint voir son amoureux ; On dit que cette
retraite Si discrète A caché bien des
heureux.
On dit que le clair de lune Vit plus
d'une Jouvencelle au coeur léger Prendre le sentier
rapide, Intrépide Insouciante au danger.
Mais
comme un aigle tournoie Sur sa proie, Les guettait
l'ange déchu, Lui qui toujours laisse un crime Où
s'imprime L'ongle de son pied fourchu.
Un soir près de la
colline Qui domine Ce roc au front élancé, Une
fillette ingénue Est venue Attendant son
fiancé.
Or celui qui perdit Eve, Sur la
grève La suivit d'un pied joyeux ; "Hymen, dit-il, vous
invite, "Venez vite, "La belle fille aux doux
yeux,
"Là-bas sur un lit de roses "Tout
écloses "Vous attend le jeune Amour ; "Pour accomplir ses
mystères "Solitaires "Il a choisi cette
tour."
Elle était folle et
légère, L'étrangère, Hélas, et n'entendit
pas Pleurer son ange fidèle, Et près d'elle Satan
qui riait tout bas.
Car elle suivit son guide Si
perfide Et par le sentier glissant. Bat la
rive Mais lui, félon, de la cime, Dans l'abîme Il
la jeta, - Dieu Puissant !
Son ombre pâle est
restée Tourmentée, Veillant sur l'étroit
chemin. Sitôt que de cette roche On approche Elle
étend sa blanche main.
Depuis qu'en ces lieux,
maudite Elle habite, Aucun autre n'est tombé. C'est
ainsi qu'elle se venge De l'archange Auquel elle a
succombé.
Allez la voir,
Demoiselles, Jouvencelles Que mon récit
attrista, Car pour vous la renommée L'a
nommée Cette grotte d'Étretat !
A son pied le flot
arrive Bat la rive Qu'il berce et flatte
toujours. C'est un triste chant
d'automne Monotone Qui pleure après les beaux jours.
Mercure de France, 15 décembre 1922 |