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Georges
de Scudéry (1598-1667), romancier, auteur
dramatique et poète, est le frère
de la célèbre Madame de Scudéry
(1607-1701). On lui doit seize pièces
de théâtre, des romans, des poésies
(dix ou douze mille vers). Les extraits
ci-contre sont tirés de son antépénultième
ouvrage, Poésies
diverses (1649).
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La Fontaine de Vaucluse
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Mille, et mille boüillons, l'un sur l'autre
poussez, Tombent en tournoyant, au fond de la
vallée; Et l'on ne peut trop voir la beauté
signalée Des torrents eternels, par les
nimphes versez.
Mille, et mille surgeons, et fiers, et courroussez, Font
voir de la colere à leur beauté meslée; Ils
s'eslancent en l'air, de leur source gelée, Et
retombent apres, l'un sur l'autre entassez.
Icy l'eau paroist verte, icy grosse d'escume, Elle
imite la neige, ou le cigne en sa plume; Icy
comme le ciel, elle est toute d'azur;
Icy le vert, le blanc, et le bleu se confondent; Icy
les bois sont peints dans un cristal si pur; Icy
l'onde murmure, et les rochers respondent.
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La grotte
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[...] Il y trouve une grotte admirable en beauté, Où
l'on voit un meslange, et d'ombre et de clarté. Cent
rochers de cristal à pointes inesgales, Sont
parmy des rochers de rubis et d'opales; Cent
branches de coral de plus d'une couleur, De la
superbe grotte augmentent la valeur; Et l'argent
lumineux de la nacre changeante, Imite de l'Iris
la splendeur inconstante. Là brille l'esmeraude,
et la pierre d'azur; Là brillent les saphirs
d'un esclat vif et pur; Là se voit la
turquoise ainsi que l'amethiste, Et le jaspe
incarnat, et celuy d'un vert triste, Et la perle
barroque, et la topase encor, Qui parmy son cristal
fait voir un lustre d'or. Là d'un esclat
sanglant se voit la cornaline; Là d'un
sable doré brille l'avanturine; Rien d'esclattant
n'y manque, et l'oil n'y cherche pas Ny l'eau
des diamants, ny le feu des granats, Des bords
de l'Orient, et des climats barbares, On voit
le bel esmail en des coquilles rares, Dont les
diversitez, et les vives couleurs Parmy ce riche
amas semblent semer des fleurs. Mille et mille
jects d'eau font ces roches humides, D'un cristal
bondissant, et de perles liquides.
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Description de la fameuse Fontaine de Vaucluse
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Les vents, même les
vents, qu'on entend respirer, Et parmi ces rochers, et parmi ces ombrages,
Eux qui me font aimer ces aimables rivages, Ont appris de Pétrarque à si
bien soupirer.
Les flots, même les flots, qu'on entend murmurer Avec
tant de douceur, dans des lieux si sauvages, Imitent une voix qui charmait
les courages Et parlent d'un objet qu'on lui vit adorer.
Au lieu même
où je suis, mille innocents oiseaux Nous redisent encor, près de ces claires
eaux, Ce que Laure disait à son amant fidèle :
Ici tout n'est que
flamme ; ici tout n'est qu'amour ; Tout nous parle de lui ; tout nous
entretient d'elle ; Et leur ombre erre encor en ce charmant séjour. |
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