Jean STIÉNON du PRÉ
  Vous êtes ici : Accueil | Divers  | Poèmes  | Jean Stiénon du Pré
   
   
 

Extrait de Le cri perdu, éditions GMD Dutilleul, 1957 (communiqué par J.M. Mattlet)

Jean Stiénon du Pré est un poète belge contemporain. On lui doit par exemple : Contes - Plaisir de cinq heures (1938) ; Office de nuit (1945), poèmes en prose ; Sainte Jeanne de Lestonnac (1955) ; Elégies finales (1970) ; etc.

 

La grotte


Je lance mon cri dans l'obscur, un cri, une sonde.
Ce cri, fuyant oiseau de nuit,
Plonge, revient: j'entre après lui
Dans un autre monde.
Tout y est vaste, tout y résonne,
Invisible ciel que la terre emprisonne, Nudité.

Comme en ton âme sombre aux sourdes sonorités,
Comme en la mienne peuplée d'une ténèbres active
Dont Dieu seul sait quelles sont les sources et les rives,
Par des chemins courbes, des paliers glacés,
Je vais, superbe et menacé.
J'élève ma lampe, et j'aperçois,
Brillant à la voûte où tremble ma voix,
Des aiguilles de calcite,
Secrètes concrétions, dénouement insolite,
Tels qu'ils s'en forme au fond de soi,
En ces chambres où nul n'a droit de viol,
Sion l'unique, la pure, l'inconnue.
Je baisse les yeux, vois, par une fissure du sol,
Couler un flot d'eau lente et continue.

Dans une vasque où tombent les gouttes
Tourne, perle des cavernes,
La pâle pisolithe; et j'écoute.
J'écoute grandir l'imputrescible pois.
Parmi nous quel Averne,
Et cet effort qui veut qu'au brassage de l'eau
Blanchisse le noyau !
Ardente beauté des phénomènes froids,
Contentement d'un esprit que le précis délasse,
Huppes, tulipes, palmettes, volutes de glace :
Tout est plaisir, péril de somnambule.
Retenons le cri mortel, le cri coupant;
Que seul notre souffle, cette peau de serpent,
S'accroche, léger, au flanc des vestibules !

Torches de l'âme, proches vertus,
Eclairez ces hauteurs où l'appel s'est perdu.
Je resterai, frêle écho, dans la salle du trône,
Les cinq sens en croix.
Ma reine est pauvre. Je suis son roi,
Et je n'ai pour aumône
Que ce grain né de la chute des larmes,
Principe d'un amour qui trouve en son alarme
Le cycle dont il croît.