L'ermitage de Gigny
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Extrait de J.M. Lequinio de Kerblay, 1801, Voyage pittoresque et physico-économique dans le Jura, tome II, p.244-248

Baume de Gigny
Baume de Gigny
(carte postale du début
du XXème siècle)

Sur la branche opposée du fer à cheval que forme l'échancrure de la montagne, en face des belles grottes qu'on vient de voir [la Baume de Gigny] et à la même hauteur, c'est-à-dire, à cinq cent pieds au moins au-dessus du valon, sont encore des trous dont plusieurs n'ont que huit à dix pieds de profondeur. Le plus considérable porte le nom d'Hermitage, parce qu'un hermite y vivait il y a trente à quarante ans. Cet endroit est d'un accès plus difficile que les grandes grottes, et certainement le repos de l'hermite ne dut pas y être souvent troublé.

Peu de positions d'ailleurs auraient prêté davantage à la délicieuse oisiveté de la vie méditative. Ce solitaire dominait immédiatement de là sur le village et la vallée de Gigny, sur le village d'Andelot et quelques autres. Plusieurs combles ou vallées, avec une multitude de montagnes et de côteaux, lui formaient au loin un spectacle permanent, magnifique, varié : tourné vers le sud-ouest, sans être dominé de nulle part à la hauteur où il est, son hermitage recevait, pendant les trois-quarts du jour, la chaleur bienfaisante ; il éprouvait sans cesse l'influence bénigne de la lumière, et l'épaisseur de la montagne le rendait inattaquable aux vents glacés du levant et du nord. 

Alimenté là gratuitement par la crédulité vulgaire, gras d'insouciance sur l'intérêt des autres, riche de tous les besoins qu'il n'avait pas, et sans quitter son simple, mais tranquille grabat, cet hermite pouvait étendre à plusieurs lieues de distance, une vue libre sur un tiers du cercle de son horizon. Lorsque des nuées inférieures étouffaient le valon, lui masquaient la terre et formaient, comme pour son plaisir, un océan sous ses pieds, il pouvait souvent encore élever les yeux, sans obstacle, vers le soleil, et se délecter sur sa couche à l'aspect sans cesse ravissant de cet astre et des cieux. La nuit même, l'éclat du firmament et les brillantes étoiles venaient se développer spontanément à ses regards satisfaits; en un mot, dans un climat très-doux par son exposition, au milieu d'un air très-pur, et dans le sein de la nonchalance, si pleine d'attraits pour tous les hommes, à toutes les heures et dans tous les temps, il pouvait, avec indépendance et sans craindre d'amertume, s'enivrer de la contemplation toujours auguste et toujours voluptueuse de la nature.

Sur une très-petite esplanade qui est au-devant de cet hermitage, à peu près comme un balcon saillant devant une croisée, ce solitaire cultivait quelques légumes, et plusieurs jardiniers du pays y sont allés chercher des graines qui s'y sont longtemps propagées, à ce qu'on dit: pour moi, je n'y ai trouvé que le cerfeuil, le cresson-alénois et la valériane; mais j'ai fort bien observé que dans ce petit espace, qui n'a pas plus de quarante pieds de long, on trouve des échantillons de presque tous les arbres forestiers des environs, et cela s'explique facilement. Lorsque le solitaire est mort, la terre de son jardin était bien entretenue, bien ameublie ; toutes les graines que le vent ou les oiseaux y ont porté, ont germé facilement, et comme on ne les a point arrachés, c'est une nécessité qu'on y trouve des arbres d'un très-grand nombre d'espèces.

La grotte, qui est de plein-pied avec cette esplanade, n'a d'habitable que vingt pieds de profondeur dans la montagne ; au-delà, il faudrait ramper. Ce paraît être l'ancien lit d'un torrent qui coulait par l'intérieur du mont; le capillaire en revet l'intérieur; les traces d'humidité non équivoques et les masses irrégulières de poudaings qui font maintenant corps avec la montagne, démontrent qu'une eau pétrifiante y a longtemps coulé.

Un autre trou percé en entonnoir, de six à sept pieds seulement d'ouverture à son entrée, qui forme le pavillon, et dont les parois sont lissées, paraît avoir également servi, pendant des siècles, à l'écoulement des eaux; il m'a semblé s'étendre indéfiniment sous la montagne ; mais ici j'étais seul, je n'avais plus de lumière, et j'étais las de n'avoir que les chauves-souris pour compagnes.