Poèmes de Jean Colin
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Ombres

 J'ai choisi, pour camper, une grotte fossile,
Dont le porche moussu domine un vieux chemin
Pavé d'énormes blocs, escarpé, difficile,
Où la tradition voit oeuvre de Romains.

Attendant le sommeil, près de mon feu mourant,
A mon sac adossé, suivant mon habitude,
Loin des gens agités, qui vont toujours courant,
Je jouis du silence et de la solitude.

Comme de blancs fantômes, en processions,
De clairs flocons de brume, arrachés aux ravins
Par la brise nocturne, accrochent les rayons
Que l'astre des nuits darde, à travers les sapins.

Je me prends à songer qu'en un temps révolu,
Au col voisin, des hommes sont passés souvent,
Et qu'avant moi, sans doute, beaucoup ont élu
Pour toit momentané, l'abri du grand auvent.

Les yeux clos, je ressens ces présences lointaines.
J'imagine ces gens, venus du fond des âges,
Passant ici des nuits, des jours ou des semaines,
Et qui n'ont pas laissé trace de leurs passages.

Grands chasseurs d'autrefois, vêtus de peaux de loups,
Gaulois aux longs cheveux, aux bracelets d'airain,
Barbares germaniques, fuyant sous les coups
De jaunes cavaliers, au galop souverain,

Légionnaires bruns, à cuirasse lamée,
De l'antique chemin robustes bâtisseurs,
Guerriers moyenâgeux, à la lourde framée,
Moines itinérants, baladins, colporteurs,

Pieux anachorète à la coule de bure
Ou sorcier méditant un noir envoûtement,
Bandits coupeurs de routes à sinistre allure,
Voyageurs égarés dans la neige et le vent,

Indécises, vos ombres passent tour à tour,
S'approchent du foyer, dans la nuit se diffusent...
Et, tout à coup, j'ai froid... Je m'éveille... Il fait jour.
Dans les buissons, déjà, de joyeux trilles fusent !

Puis, dans sa majesté, s'élève le soleil,
Inondant les sommets de lumière dorée.
Autour de moi, je vois l'antre toujours pareil,
Avec de grands murs gris et sa voûte forée.

J'ai rêvé... Dans le vent issu des zones sombres,
La cendre de mon feu, déjà, vole sans bruit.
Nul ne saura bientôt, qu'ombre parmi les ombres,
Un spéléo furtif, ici, passa la nuit.

Grotte de Vaucluse - Août 1966

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Souvenirs

J'aime  la Grotte aux Ours, aux décors familiers
Où, tant de fois déjà, j'ai traîné mes souliers,
Depuis cette séance, à jamais mémorable,
Où quelques vétérans m'avaient jugé capable
De les accompagner en exploration.
Je suis toujours saisi d'intense émotion
Quand je passe le seuil de "ma première grotte" !
J'étais bien jeune alors, et tout fier de ma cotte
D'un bleu sans une tache, et d'un casque d'acier
Déniché par hasard dans un coin de grenier,
Sur lequel j'avais peint, à grands coups de pinceau,
Une chauve souris plus noire qu'un corbeau.
Mes compagnons riaient de mon accoutrement,
Spéléos chevronnés, eux, dont le fourniment
Etait tout constellé de glorieux accrocs
Récoltés sous la terre, à des pointes de rocs.

Nous nous sommes rendus dans un étroit couloir
Où l'eau touchait la voûte. Un profond déversoir,
En éventrant la roche, au burin, au marteau,
Nous a permis d'entrer dans un monde nouveau,
Deux minuscules salles, au sol argileux,
Où le conscrit mouillé, transi, ravi, heureux,
S'émerveilla devant une humble stalagmite
Qui, d'un âge très mûr atteignait la limite...

Que j'étais emprunté de mes pieds, de mes mains,
Et comme j'admirais l'aisance des anciens !
Apprenti spéléo, désireux de bien faire,
Comme j'observais tout, dans le décor calcaire,
Posant, à tout propos, nombre de questions !
Enfin, très satisfaits de nos prospections,
Nous sommes revenus vers le monde habité,
Mais, quel étonnement, lorsque j'ai constaté
Qu'assez rapidement, le temps s'était enfui
Pour qu'au lieu du grand jour, ce fut la grande nuit
Qui reçût notre équipe, à son retour au porche.
Il me fallut percer, avec ma lampe torche,
L'obscurité profonde où reposaient nos sacs.

Michel rugit alors: "Il dit qu'il a ses bacs...
"Il ne sait même plus dire l'heure, à présent !
Tout candidat au Club doit être conscient
Du temps passé sous terre, autrement... refusé !"
Voyant que je faisais figure d'accusé,
Paul me dit, souriant: "Il a parlé pour rire.
"Chez notre président, tu peux aller t'inscrire.
"Je t'ai bien observé. Tu t'es bien défendu.
"Je crois qu'avant longtemps, tu seras un mordu !"

Seigneur! Que cette scène est donc déjà lointaine !
Quarante ans ont passé, semaine après semaine,
Chassant de mon esprit les terreurs ancestrales,
Mais jamais cet appel des noires cathédrales
Qui saisit, certain jour, passé ce porche étroit,
Le jeune explorateur, bavard et maladroit.
Devenu membre actif, intégré dans l'équipe,
A toute activité j'ai pris part, en principe,
Et parcouru grottes et gouffres par centaines.

Parmi ces cavités, sans nul doute, certaines
Avaient plus d'intérêt que le trou qui me vit
Faire mes premiers pas au séjour de la nuit.
C'est vers lui, cependant, que souvent je reviens.
Il a vu ma jeunesse, il a vu mes anciens,
Les nouveaux spéléos y furent tous conduits.
Chacun de ses boyaux, chacun de ses réduits,
Réveille un souvenir ou rappelle un visage.

A peine entré sous terre, on parvient au virage
Où la blonde Malou refusait d'avancer.
Obstacle redoutable : il lui fallait passer
Dessous une araignée au ventre globuleux !
Je dus donc éloigner de ses yeux anxieux
L'effroyable gardien du domaine enchanté...

Puis, voici le passage où j'ai tant hésité,
Une large marmite, un bassin d'eau limpide,
Qu'aujourd'hui je franchis d'un pas sûr et rapide,
Cette marmite où Jacques a pris un bain complet,
Son lourd soulier, d'un gour, ayant crevé l'ourlet !

Ce boyau, dominant un grand mur escarpé
Que j'ai voulu gravir, et d'où j'ai dérapé
Cinq ou six fois au moins, avant d'apercevoir
La stature d'André, tout en haut du perchoir.
Il m'avait précédé, les deux mains dans les poches,
En contournant, sans peine, un éboulis de roches.
De nombreux quolibets, j'ai subi la rafale... !

Je revois Paul aussi, debout sur cette dalle,
Essayant de répondre au petit cri plaintif
D'un mignon rhinolophe, entre ses mains captif.
Dans ce coin au sol sec, certains soir, nous dînions,
Marcel, Jeannot et moi, de quelques rogatons
Assaisonnés d'un fond de boîte de pâté.
Au milieu du festin, un joint mal ajusté
A failli transformer une lampe à carbure
En engin meurtrier... C'est en forçant l'allure
Qu'à travers les bassins, nous avons pris la fuite,
Craignant l'explosion... qui ne s'est pas produite !

Souvenirs... souvenirs... légers minioptères,
Vous voltigez sans bruit, et, des heures entières,
Je ne serais pas las de vous voir défiler,
D'entendre votre voix, doucement, me parler.
Tout redevient présent, s'entremêle et s'enchaîne.
Ici, rien n'a changé, depuis l'aube sereine
Qui m'a vu, plein d'ardeur, ignorant le passé,
Foncer vers l'avenir... Je ne suis pas lassé
Du sous sol que, longtemps, j'ai parcouru sans trêve.
Si différent, pourtant, est aujourd'hui mon rêve...
Serais-je vieux... ? Déjà... !

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