Un récit d'exploration inédit
à la Pierre Saint-Martin par Robert Mauer
Six ans se sont écoulés depuis
la dernière descente.
Les puissantes divinités
fastes et néfastes qui président maintenant aux
expéditions dans ce gouffre fameux ont atteint momentanément
une phase d'équilibre.
L'espoir d'une exploitation
du torrent souterrain d'une part, le bon vouloir des autorités
espagnoles d'autre part ont coïncidé et toute l'équipe
se retrouve là haut avec émotion.
L'ascension
du col est largement facilitée par la route dont les
travaux de construction avancent à grande vitesse. Désormais,
moins de deux kilomètres nous séparent du gouffre.
Cette phase réduite de l'approche n'est plus qu'une promenade
à travers l'un des plus étonnants paysages français.
Devant
le Maître trou, je découvre Casteret, examinant
d'un oeil curieux le treuil, opulente mécanique de laquelle
émane un agréable parfum de complète sécurité.
Poignées de mains, retrouvailles et : " Venez
voir en bas", me dit Casteret. J'ai bien remarqué,
au fond de la doline, en lieu et place des orifices jumeaux
qu'on pouvait voir là l'année dernière,
une sorte de porte de grange fourrée de madriers et de
planches, mais ce que je découvre là en bas "m'en
bouche une surface". L'énorme pilier rocheux qui
subsistait entre l'ancien méat et le second orifice ouvert
durant l'hiver 1958-1959, à quelques mètres plus
à gauche, a été littéralement extrait
et, dans le portique ainsi ménagé où passerait
maintenant un wagon de chemin de fer, des étais soutiennent
la voûte pourrie minée de cheminées et de
fissures. En contrebas, une échelle conduit à
un grand plancher de bois où je m'aventure avec circonspection. -"Vous
pouvez y aller, c'est solide" et Casteret saute délibérément
à mes côtés, éveillant une sourde
rumeur.
A l'extrémité de cette plate-forme,
établie dans le gouffre même, six mètres
plus bas que l'ancien orifice de descente: une trappe fermée. Casteret
lève le panneau. -"Beau travail, n'est-ce-pas".
Le
puits est là, noir, sinistre, 340 mètres de vide,
un rayon de soleil oblique lèche les parois, perspective
inédite ici. Je peux voir maintenant les énormes
poutrelles métalliques scellées dans les parois,
qui supportent cette plate-forme, elle--même à
double épaisseur.
Beau travail en effet et comme
tout cela fait "confortable" ! Casteret se
redresse : -"Vous vous souvenez du marchepied de -4 ?"... -4
c'est le petit arrêt, immédiatement sous l'orifice
où l'on recevait naguère ses bagages pour la descente. -"le
voici".
Au milieu de la paroi striée de rainures
profondes par le passage du câble, je retrouve, en effet,
désaffectée, la marche étroite de l'époque
héroïque qui n'est plus maintenant qu'une vulgaire
étagère, en plein soleil.
-"Nous gagnerons
plusieurs mètres sur l'aplomb du puits et il est probable
que l'atterrissage de -80 se fera tout près de la lèvre
de la plate-forme, de cette manière, une grande partie
des frottements entre la surface et -80 se trouvera éliminée,
mais, ajoute Casteret, il faudra avant tout nettoyer le puits
de tous les éboulis accumulés depuis six ans qui
doivent eux-mêmes disparaître sous les blocs précipités
pendant les travaux de l'orifice. Cela représente un
rude travail en perspective, peut-être bien deux jours
dans le puits, pour ceux qui s'en chargeront."
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