La Source de la Loue
1864 - Huile sur toile - 107x137 cm
Albright-Knox Art Gallery, Buffalo

La source de la Loue (Ouhans, Doubs) est une des plus puissantes sources karstiques de France. Elle a été explorée en scaphandre autonome sur plus d'un kilomètre de distance. Au centre, une béance obscure d'où émerge, à vive allure, la Loue, reliée souterrainement au Doubs. Entre cette roche claire, pareille à un arc antique, et le spectateur, point de distance. Une sorte de mur de peinture, construit à larges touches, se dresse avec une vigueur mystérieuse. Le regard ne se glisse que lentement au sein de cette cavité. Curiosité locale qui a retenu Courbet dans plusieurs tableaux autour de 1863. Chaque version a sa tonalité, son cadrage propre, plus ou moins serré. L'ensemble dit la fascination du peintre pour cette grotte nourricière, cette autre Origine du monde. Forme " vaginale " (Dumas) et ombre pubienne trouvent dans la fragmentation de la vision une intensité obsédante. Une fois de plus , " la sensibilité à l'élémentaire " (P. Georgel) rejoint le fantasme privé. L'eau jaillissante comme attribut vénusien de la femme est chez Courbet une permanence de l'imaginaire. Est abolie dans ce jeu de miroirs l'allégorie traditionnelle de la source, représentée sous l'aspect d'une jeune femme versant l'eau avec parcimonie, recours d'Ingres en 1856 et de tant d'autres au moindre talent. Courbet, en constant dialogue avec son temps, réplique aux fades abstractions par le concret et la poésie de la suggestion. Femme et nature fusionnent. Stéphane Guégan, "L'ABCdaire de Courbet et le réalisme", 1996, Flammarion, p.75