L'approche des éléments
Sur le plateau d'un Océan calcaire, des
creux sont disputés par la neige et la roche.
Le temps d'un regard (mais n'est-ce pas le jeu
d'un mirage entre les arcs brillants des dômes
?) on aperçoit une nappe qui déborde.
Le
vent est celui de la falaise où disparut
la moitié du paysage, emportant le secret
des réseaux souterrains. Que traversent-ils
aujourd'hui dans la nuit des fractures ? Que deviennent
les sources entourées d'argile?
Nous ne marchons déjà plus sur
le plateau des fleurs et des chamois. Les versants
multiplient le puits d'entrée.
***
Un P15 pour les chuats, corneilles des montagnes
Méfiance en notre nom aimant l'obscurité Nous
sommes les oiseaux noirs des roches et notre envol
définitif a laissé des pierres au
bord du puits
Nous avons niché sur la vire en pleine
obscurité Attendant peut-être cet
homme en jaune au bout de la corde Sa flamme
étonnée de notre envergure et de nos
griffes Sa flamme descendant jusqu'au courant
glacial
Cet hiver l'un de vous allait s'en souvenir
au bout de ses doigts
***
La grande salle d'entrée
Son plafond est d'abord à portée
de main, puis un éboulis déverse une
plage de suie vers le coeur de l'entonnoir sans fin.
Celui-ci collecte des échos de ruisseaux
ou creuse un peu plus le silence, le halos de l'acétylène
fouillant la géométrie d'une cale
immense abandonnée aux blocs, aux bancs d'argile,
aux manteaux suspendus des rhinolophes, la torche
fouillant la cheminée du ciel rocheux ou
traversant les troncs de glace, personnages décapités
au pied du puits ; car la suite est aveugle au fil
des étroitures, des laminoirs surbaissés
où revient la position de certains animaux
primitifs entre la glaise et l'eau. On peut tourner
longtemps, interroger les faux départs. Où
est le courant d'air, le chemin des stalactites
? Une lucarne murmure, juste après un pincement
blanc de bourgeons calcaires.
***
Dit de la flaque dans l'étroiture
Claire Vite brouillée par la danse
glacée du ventre Flaque Statue molle
et brune endormie dans la boue Couleur d'orage
ou de canicule Même les joues de l'homme
lombric te saluent
***
Dit du crochet stalagmitique au milieu de
l'étroiture
Moi aussi j'attends la taille de l'explorateur
aux mains de taupe Question de bien lui signifier
la loi de mon territoire
Oublie le réseau des cheminées
lisses Trouve à l'horizontale une suite
au voyage entre la terre et la nuit
***
Problème à la galerie Gillénate
C'est un couple qui rampe. C'est le jour de
leur première. Au bout de douze mètres,
voici une bifurcation : à gauche un colmatage,
à droite une étroiture avant l'interdiction
de la matière. Comment, dans cette galerie
sans portrait, se séparer en laissant leurs
prénoms ?
Gillénate Couple en jaune
***
La rivière et la racine
Rivière Pérenne En chute
éclatée Autant d'ombres que de
jets par les failles * Une racine minérale
et rouge éclaire un sol fragile
Corriger un angle mort Soutenir le plafond
surbaissé
***
La salle du lac
On entend la pluie qui vient des tonnes
Champ d'argile où naissent de petits goulots
On ne peut y marcher sans ruiner la découverte
La tranchée perdue en amont Le pertuis
pour un ruisseau sans mémoire La vague
d'argile Tout doit finir dans ce royaume
***
Le réseau des laminoirs
La flamme de celui qui rampe devant disparaît
comme aplatie Ici le silence est dans la gorge Tout
le massif écrasant L'air couleur de pierraille Ici
on fera demi-tour quand ce sera possible
Ramper Les gestes parlent seuls Je
suis un animal avec ses pattes de crocodile et je
déblaie Je rampe ou je nage entre la terre
et la mort
On ne reconnaît rien dans ce long miroir
minéral sans concrétion Pas même
le sommeil d'un fossile Ou le manteau noir des
chuats
Où est le trésor de la cavité
que l'on parcourt debout ?
Exploration vers le vide
Tout au bout le souffle et ce ciel clos se
sont décomposés dans un goulot glaiseux
***
Vers le réseau marin des cheminées
L'éclairage glisse en haut
du puits Rond de phare Sans issue
Des parois tranchent l'obscurité
Coquillages en pierres plantés
dans la verticale
Rostres morts de poulpes Flèches
dans l'écume calcaire et grise
La nacre des huîtres est
devenue noire
L'action des marées tombées
de la surface a empilé des rognons de silex
Un crissement pour un pas au fond
du cercle
Ici le tour de la terre est un
secteur ancien
La cheminée fore un centre
immobile et sans lucarne
Où va ce tube ? Levons
les yeux L'hypothèse activera le règne
de l'apesanteur
***
L'or des Chuats
Le
ciel réduit du laminoir disparaît dans
ces rayons qui sont des barreaux pour leur épaisseur,
des aiguilles pour leur transparence. Ramper
ici briserait net l'arc-en-ciel impossible apparu
sous le glissement de la lampe. En amont, des étages
sont recouverts de tapis nacrés. ... Pouvoir
d'une autre dimension. Des morceaux pareils à
des cigares, des bâtonnets voilés de
rouille, de jaune et de marron sont au sol, poursuivant
un voyage vers le feu de la terre. Fistuleuses,
danses formant des crochets de neige, des plumes
qui brillent, des boucles rêvant d'emprisonner
l'or pur de la grotte, ses lectures dans la pénombre,
ses gravières, dunes crissantes.
L'oeil
s'égare au pays de la limpidité. Allongé
sur le dos sous le caprice d'une stalactite, on
parle d'un palais perdu dans le vallon souterrain
après le signe boueux de la rivière,
les étroitures, les carrefours, les systèmes
de blocs encombrant les méandres; on parle
de secteurs plus concrétionnés, comme
impossibles, ceux que peu d'entre nous sont allés
voir. ... Il
existe un passage entre deux plaques criblées
de racines, d'épines blanches, et rien ne
brille en dehors d'elles. Plusieurs
dômes ont l'air de tumulus édifiés
sur un socle d'argile, sans une âme, sans
une porte. Pierres
nues face au présent du visiteur. On
pense aux pillages, aux oublis pour un geste maladroit. Que
dira-t-on si le coffre perd ses couleurs ?
***
La galerie du Fromager
Piocher dans la meringue pierreuse ou le lait
cru et plein de grumeaux Patiner sous les bottes Se
glisser dans le boyau Repousser la pâte
à coups de talon
Couché sur le côté dans
le virage Un bras en extension vers les cannelures
pâles Un autre aileron maladroit sous
le torse Attends que je plante le pic au
coeur de la gomme
Voilà un petit barrage qui lâche
à présent Je repioche en fermant
les yeux et des gerbes de lait cru m'éclaboussent Je
repioche allez bientôt l'effacement du rebord Bientôt
le minimum pour la carrure et le franchissement L'ascension
du corps en pays inconnu après l'érosion
mécanique et liquide
Mais une stalagmite ou plutôt un vieux
grumeau défend la suite On passe au
rythme du pic sans recul suffisant On passe
aux battements du coeur affolant les échos
de la paroi Les tendons de l'épaule
s'enflamment
Cette fois c'est le passage Les joues saluant
le mondmilch pour un masque blanc
Le casque est poussé devant Il
s'éteint à l'entrée d'une
salle minuscule Comme pour annoncer la compression
de la suite
***
La théorie du fond
On
échappe à la folie des stalactites,
à leurs flèches réinventant
les directions de l'univers, à leurs brindilles
creuses, aux perles d'eau suspendues. On est presque
emporté par le plancher marron sans voir
la suite. Deux
ruisseaux vers des puits d'effondrement et le fond
disparaît. Il bute sur une obstruction, dit
le regard au bout de quelques mètres. et
sur la droite, le bassin dans sa frontière
de cristaux beige, serait-il à l'aplomb d'une
galerie ? A hauteur
d'homme, une arrivée chargée de foin
concrétionné marque la fin d'un appel
d'air. Mais combien sommes-nous à être
parvenus jusqu'ici ? La modification de l'atmosphère
apportée par l'acétylène, par
les tirs agrandissant les goulots, l'édification,
déjà, des premiers cairns, les passages
répétés dans la boue si près
de feuillets cristallins, l'ensemble orientera l'aventure
au-delà de son mystère. Le
jour creuse un chemin étranger. Que deviendra
l'esprit des chuats ? Avant
de repartir je dépose un piochon au bord
du puits. Qu'il confie un geste oublié à
la nuit totale, aux verrous du silence.
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