Adoré FLOUPETTE
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Car j'ignorais jusqu'au nom du chantre de Graziella ! Mais Floupette, avec sévérité : «Et Victor Hugo, et Musset, et de Vigny, et Brizeux ! Ah çà, mon cher, mais tu n'as rien lu ?»
- «Si fait, j'ai lu Boileau et Racine : tu te souviens du songe d'Athalie ; nous l'avons appris ensemble». - «Fi donc, Racine est un polisson». Ce fut dit d'un ton sec et qui n'admettait pas de réplique, j'étais stupéfait ; eh bien, le croiriez-vous ? Floupette avait raison. Est-il rien de plus mortellement ennuyeux que le ron-ron classique, avec ses périodes solennelles qui se font équilibre, comme les deux plateaux de la balance et les trois unités, et ces confidents qu'on dirait tous taillés, sur le même modèle, par un fabricant de marionnettes en bois ! Nous nous mîmes d'arrache-pied à l'étude de la poésie romantique et je crois pouvoir dire que nous y réussîmes assez bien. Nous étions tout à coup devenus Jeune-France, c'est-à-dire Moyen âge, même un peu Truands. Le tailleur Éliphas Meyer avait refusé de nous confectionner des pourpoints mi-parti sans l'autorisation de nos parents, mais nous avions des souliers pointus qui pouvaient passer pour être «à la Poulaine» et nous étions coiffés à l'enfant. Par exemple, nous n'acquîmes pas du premier coup l'air fatal et ravagé, si nécessaire à tout romantique qui se respecte. Avec moi, qui suis naturellement pâle et gringalet, cela allait encore, mais, en dépit de ses jeûnes obstinés et du vinaigre qu'il avalait en cachette, Floupette avait vraiment de la peine à se mal por-
 

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ter. C'était un bien gros page pour les châtelaines éthérées dont nous rêvions ; ses bonnes joues roses lui faisaient du tort et personne ne voulut jamais croire qu'il se nourrît exclusivement d'amour et de rosée, ainsi qu'il le donnait à entendre.
     Parmi les maîtres, ce fut d'abord Lamartine qui eut nos préférences. Il dura bien tout un hiver pendant lequel nous eûmes beaucoup, oh ! beaucoup de vague à l'âme.
     Je retrouve dans mes vieux papiers une poésie d'Adoré qui date de cette époque. C'est une ode dont voici le début :

    Aimons ! Aimons ! Voilà la vie !
    Aimons dans notre jeune temps !
    Bien trop tôt nous sera ravie
    Cette fleur de notre printemps !
    Dans les prés et sur la montagne,
    Sur les lacs et dans la campagne,
    Qu'à notre bras une compagne,
    Se penche en levant ses beaux yeux
    Puis, ô divine rêverie !
    Que sa douce haleine fleurie
    A notre lèvre endolorie
    Apporte le parfum des cieux !

     Le reste à l'avenant, c'étaient des élévations à n'en plus finir, des extases, des prières adressées à l'infini, des rossignols dans l'épais bocage, des nacelles, des barcarolles, des scintillements d'étoiles, des chars de la nuit, des clairs de lune sur la mer, où l'on voyait neiger des fleurs de pêcher, enfin un tas de belles choses dont je ne me souviens plus très bien, car, pour le dire en passant,
 

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je suis un peu dévelouté. Le mot est de Floupette qui en a trouvé ou retrouvé bien d'autres.
     C'est égal ; étions-nous assez jeunes ! Je me souviens que nous soupçonnions notre aumônier, l'abbé Faublas, un vieux petit moricaud, qui avait toujours la goutte au nez, d'avoir dans son passé quelque drame intime, une terrifiante histoire d'amour pour le moins, et nous avions baptisé du nom d'Elvire la petite Virginie Colas, la fille du concierge du Lycée, une boulotte assez piquante qui est aujourd'hui mariée au boucher de la grande place. Même nous avions grande envie de lui demander des nouvelles de Sorrente, mais nous n'osions pas.
     Avec Victor Hugo ce fut une note différente, la note Titanesque et Babylonienne. Nous tendions nos muscles, nous étions cyclopéens ; pour un rien nous aurions rebâti la tour de Babel ; nous nagions en plein sublime.
     Enfin Musset eut son tour. Il nous arriva, précédé d'un cortège des plus galants, abbés de cour, folles maîtresses, donneurs de sérénades, amants transis, et c'est alors que je crus m'apercevoir que Floupette se dérangeait. Lui, autrefois si chaste, si réservé dans ses propos, il devenait à vue d'oeil égrillard et talon rouge. C'était la chute d'un ange.

    J'aime Ninon à la folie

     Chantonnait-il avec une désinvolture de vaurien que je ne lui connaissais pas encore, et, à ma gran-
 

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de stupéfaction, il m'arriva de l'entendre et faire à une certaine Déjanire les propositions les plus incendiaires. Il est vrai que c'était en rêve, un soir qu'il s'était mollement endormi sur son gradus ad Parnassum, pendant la dernière étude.
     C'est à partir de ce moment qu'il prit l'habitude de faire tous les mois une petite visite discrète dans la rue des Ormeaux, derrière la gendarmerie.
     Sur ces entrefaites, il fut reçu bachelier, non sans quelque tirage, et partit pour Paris où son père l'envoyait étudier le droit, avec mille recommandations pour son ami et correspondant, M. Félix Potin du boulevard Sébastopol. Ah ! Paris, c'était le pays de nos rêves, le cerveau du monde, la capitale de l'intelligence, la Ville avec un grand V ! C'est de là que la gloire d'Adoré Floupette devait prendre son essor et rayonner sur la Bourgogne et la Franche-Comté ! A mon regret, je ne pus l'accompagner. Les herbes me retenaient à Lons-le-Saulnier, car déjà le démon de la pharmacie s'était emparé de moi et j'étais entré en apprentissage chez M. Dumolard, le droguiste bien connu de la place de la Chevalerie. Mais, comme on pense, la correspondance ne chôma pas. C'est ainsi que j'appris, par Adoré, de grandes nouvelles. Lamartine et Musset, que nous avions si sottement admirés jadis, avaient été remisés et mis au rancart. Le premier était un raseur, un pleurard insupportable. Le second ne savait pas rimer. Hugo était toujours le Maître, mais il planait au fond de l'empyrée, dans un nuage de pourpre et d'or,
 

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tenant le monde en sa main, ainsi qu'il convient à un empereur de la poésie. On le saluait en passant d'une génuflexion, on brûlait un peu d'encens, et tout était dit. Volontiers le bon Dieu était délaissé pour ses saints, lesquels, à ce qu'il paraît, étaient de la famille du grand Saint-Éloi, l'excellent orfèvre du roi Dagobert. Ils taillaient, ciselaient, fignolaient à merveille. Tel de leurs sonnets était comme un aiguière délicieusement ouvragée ; tel autre, comme une coupe de marbre ou d'onyx ou bien encore, une bague enrichie de pierres précieuses. Il y avait des ballades qui ressemblaient aux plus fines potiches de Chine, des cartels d'alexandrins, des rondeaux en pâte tendre de Sèvres, des quatrains en camaïeu, enfin tout un lot de mignons bibelots d'étagère, comme on en rencontre à l'hôtel Drouot, les jours de grandes ventes. J'admirais déjà de tout mon coeur, lorsqu'une nouvelle lettre de Floupette vint changer le cours de mes idées. D'abord, il s'était dit Impassible, prétendant haïr la douleur, parce qu'elle dérange l'harmonie des lignes :

    Est-elle en marbre ou non la Vénus de Milo ?

Et voilà que subitement les Humbles de François Coppée l'avaient empoigné. Il ne rêvait que misères à consoler, larmes à tarir. J'ai conservé de cette période un dizain qui donnera assez bien l'idée de sa manière d'alors :
 

 

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