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Jean Truel vu par Claude Chabert

Jean Truel

A l'image de la grotte est souvent associée l'idée d'enfermement et de confinement. A bien regarder ce que peint Jean Truel, on s'aperçoit qu'il s'agit de tout autre chose, d'une ouverture à un espace qui est aussi une expérience mentale dans laquelle la caverne apparaît comme lieu de transition et de passage. Pour mieux briser cette notion de limite que la grotte suggère (à tort), Jean Truel fait subir à son oeuvre un éclatement. Il place en quelque sorte la grotte sur une orbite tout en conservant les valeurs et les sortilèges traditionnels. Et cette orbite est douée d'un mouvement qu'on pourrait identifier à une spirale. En tout état de cause, il ne s'agit pas d'une fuite en avant, mais de la conquête ordonnée de nouveaux espaces pour témoigner que l'espace qui nous entoure est un labyrinthe réel. Il est lui-même en expansion et la tâche du peintre est d'en montrer ce qu'elle a d'illimité.
Mais cette tâche est elle-même troublante: Jean Truel nous propose un labyrinthe imaginaire grâce auquel nous en ferions l'exploration, par le même processus que celui qui le constitue, c'est-à-dire qu'il exige de nous aussi un parcours mental à l'aide de moyens proprement symboliques.
D'où l'idée de créer, sur la surface d'un causse, en l'occurrence le Larzac, les signes de ce labyrinthe pour nous aider dans notre tâche d'explorateur, confronté à, comme l'écrit Truel, " un espace pictural que je crée et que j'explore par le cheminement que j'y effectue... Cet espace pictural se développe sur des plaques de fibrociment posées à même le sol, ou dressées au milieu du paysage ". C'est l'éclatement auquel nous faisions allusion et qui s'ordonne, si une telle expression est possible, en labyrinthe.
Ce qu'il appelle ainsi " structures de plein air " représente la mise à jour, le surgissement à la surface de la terre, par pans et fragments, sous forme de signes littéralement alphabétiques, de ce que tout spéléologue va chercher sous terre et qui relève d'une archéologie intime par rapport à laquelle la grotte constitue la voie d'accès.
Jean Truel détruit nos habitudes mentales. Il bouleverse la ligne qui sépare surface et fond. Il met dessus ce qui est dessous et nous force à regarder de l'intérieur ce qu'il présente, non sans jubilation et délectation, comme extériorité. Comme l'ont fait les Cubistes, il multiplie les points de vue, nous obligeant à une continuelle mobilité, à faire mouvement nous-mêmes vers cet espace, privilégié, puisqu'il est, pour longtemps encore, immarcescible. Même peintes, les grottes sont faites pour être vues en marchant, et avec courage, car c'est un espace dans lequel on ne trouvera pas de guide.
Jean Truel a d'ailleurs tenté, au cours de la réalisation de ses "structures", de dire, à la façon d'un Eugène Delacroix ou d'un Georges Braque, quel itinéraire il suivait, quelle direction il espérait prendre. Il a tenu une sorte de journal de bord, notes quotidiennes qui plus tard seront un fil d'Ariane précieux, pour garder tête froide dans cette nouvelle cartographie :
"Il faut dresser des plans, topographier et repeindre... les points d'appui colorés structurant l'espace à la façon d'un tableau grandeur nature. Mondes perdus surgissant à la surface...". Et, plus loin : "L'image du gouffre est à la surface, mais la surface n'est plus la même, elle est un lieu de médiation où deux réalités coexistent, hésitant l'une et l'autre à basculer... La réalité picturale s'est superposée à la grotte que j'explore, j'ai l'impression quelquefois de marcher dans ma propre peinture et cette peinture envahit maintenant les espaces extérieurs".
Courage nous disions, bien plus. Nous voici condamnés à marcher, marcher, éternellement, marcher, vers ce centre où tout, à jamais, prend sens.

Claude Chabert
Ecrivain spéléologue

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