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A l'image de
la grotte est souvent associée l'idée
d'enfermement et de confinement. A bien regarder ce que
peint Jean Truel, on s'aperçoit qu'il s'agit de tout
autre chose, d'une ouverture à un espace qui est
aussi une expérience mentale dans laquelle la caverne
apparaît comme lieu de transition et de passage. Pour
mieux briser cette notion de limite que la grotte
suggère (à tort), Jean Truel fait subir
à son oeuvre un éclatement. Il place en
quelque sorte la grotte sur une orbite tout en conservant
les valeurs et les sortilèges traditionnels. Et cette
orbite est douée d'un mouvement qu'on pourrait
identifier à une spirale. En tout état de
cause, il ne s'agit pas d'une fuite en avant, mais de la
conquête ordonnée de nouveaux espaces pour
témoigner que l'espace qui nous entoure est un
labyrinthe réel. Il est lui-même en expansion
et la tâche du peintre est d'en montrer ce qu'elle a
d'illimité.
Mais cette tâche est elle-même troublante: Jean
Truel nous propose un labyrinthe imaginaire grâce
auquel nous en ferions l'exploration, par le même
processus que celui qui le constitue, c'est-à-dire
qu'il exige de nous aussi un parcours mental à l'aide
de moyens proprement symboliques.
D'où l'idée de créer, sur la surface
d'un causse, en l'occurrence le Larzac, les signes de ce
labyrinthe pour nous aider dans notre tâche
d'explorateur, confronté à, comme
l'écrit Truel, " un espace pictural que je
crée et que j'explore par le cheminement que j'y
effectue... Cet espace pictural se développe sur des
plaques de fibrociment posées à même le
sol, ou dressées au milieu du paysage ". C'est
l'éclatement auquel nous faisions allusion et qui
s'ordonne, si une telle expression est possible, en
labyrinthe.
Ce qu'il appelle ainsi " structures de plein air "
représente la mise à jour, le surgissement
à la surface de la terre, par pans et fragments, sous
forme de signes littéralement alphabétiques,
de ce que tout spéléologue va chercher sous
terre et qui relève d'une archéologie intime
par rapport à laquelle la grotte constitue la voie
d'accès.
Jean Truel détruit nos habitudes mentales. Il
bouleverse la ligne qui sépare surface et fond. Il
met dessus ce qui est dessous et nous force à
regarder de l'intérieur ce qu'il présente, non
sans jubilation et délectation, comme
extériorité. Comme l'ont fait les Cubistes, il
multiplie les points de vue, nous obligeant à une
continuelle mobilité, à faire mouvement
nous-mêmes vers cet espace, privilégié,
puisqu'il est, pour longtemps encore, immarcescible.
Même peintes, les grottes sont faites pour être
vues en marchant, et avec courage, car c'est un espace dans
lequel on ne trouvera pas de guide.
Jean Truel a d'ailleurs tenté, au cours de la
réalisation de ses "structures", de dire, à la
façon d'un Eugène Delacroix ou d'un Georges
Braque, quel itinéraire il suivait, quelle direction
il espérait prendre. Il a tenu une sorte de journal
de bord, notes quotidiennes qui plus tard seront un fil
d'Ariane précieux, pour garder tête froide dans
cette nouvelle cartographie :
"Il faut dresser des plans, topographier et repeindre... les
points d'appui colorés structurant l'espace à
la façon d'un tableau grandeur nature. Mondes perdus
surgissant à la surface...". Et, plus loin : "L'image
du gouffre est à la surface, mais la surface n'est
plus la même, elle est un lieu de médiation
où deux réalités coexistent,
hésitant l'une et l'autre à basculer... La
réalité picturale s'est superposée
à la grotte que j'explore, j'ai l'impression
quelquefois de marcher dans ma propre peinture et cette
peinture envahit maintenant les espaces
extérieurs".
Courage nous disions, bien plus. Nous voici condamnés
à marcher, marcher, éternellement, marcher,
vers ce centre où tout, à jamais, prend
sens.
Claude
Chabert
Ecrivain spéléologue
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