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(suite du récit de Robert Mauer)
Revenu au débarcadère, je reçois soudain
dans la figure une haleine fraîche qui parvient, à
n'en pas douter, d'une petite galerie de section carrée
perchée à deux mètres au-dessus de l'eau
et que j'avais remarquée en débarquant. La position
de ce couloir réunit toutes les chances de déboucher
sur le cours principal de la rivière, en amont du soupirail:
en quelques secondes, c'est même devenu une certitude
et nous irons voir cela dès que possible.
La prospection de ce qui est devenu "l'affluent d'Arlas"
nous promène dans une galerie accidentée, parfois
étranglée par des éboulis, montueuse, subitement
exiguë, parfois, au contraire, évasée en
salles bien décorées mais s'effilant, hélas
de plus en plus. Un petit couloir rond où l'eau est profonde
nous arrête enfin.
L'orientation générale de la galerie qui depuis
plus de trois cent mètres pique obstinément plein
Est laisse prévoir à brève échéance,
si l'on en croit les données de Ravier, l'arrivée
dans la zone d'origine des eaux. Une voûte mouillante doit certainement clore ce couloir
car le courant d'air, tout à l'heure assez sensible,
est devenu imperceptible malgré l'étroitesse des
lieux. Quoiqu'il en soit, la profondeur de l'eau nécessite
une embarcation et nous avons abandonné le canot à
la bifurcation. Nous repartons donc à sa recherche tandis
que Isaac et Javier commencent à relever la topo. Nous
ne pouvons moins faire que nous attarder un moment dans la plus
belle des salles de la galerie, baptisée naguère
par Isaac "sala Razkin", qui possède sous un
large auvent rocheux une abondante pluie de "macaronis"
longs de deux mètres. L'averse silencieuse raye l'obscurité à hauteur
d'homme, figée, insolite... et rien n'est plus impressionnant
que l'étrange réalité de ses fils de pierre
si ténus et si purs surtout lorsqu'on détient
le pouvoir d'en anéantir, d'un revers de main, la paradoxale
existence... A la sortie de cette salle Razkin, le ruisseau
a profondément entamé le substrat primaire que
nous découvrons, ici, en discordance d'environ 70 degrés
avec le calcaire furonien.
Au débarcadère, la lenteur de la topo nous
laissant un peu de temps, notre premier soin est d'aller voir
au plus tôt ce que recèle la galerie perchée. Au prix d'un bain de pieds, nous nous sommes vite hissés
dans le couloir. Comme prévu, nous débouchons
immédiatement sur la rivière qui coule en amont,
sous des voûtes semblables à celles du tunnel du
vent, d'abord rapide et peu profonde mais nécessitant
bientôt, au-delà d'un cap rocheux, un engin flottant.
La perspective d'une navigation de quelque durée dans
ce couloir venteux et sinistre n'est pas très réjouissante
mais nous transportons le boudin jusqu'au nouveau bief. Trente
mètres à peine de naumachies sur une eau cristalline
mais profonde nous déposent à un cul de sac, en
contrebas d'une voûte à demi comblée par
de gros blocs. De l'autre côté d'un pertuis épargné
sous cette voûte, c'est le noir profond d'une grande salle,
où résonne la rumeur familière de l'eau
courante. Nous tenons enfin la digne suite du réseau.
Dans cette salle (Sala Principe de Viana) qui ne livre que
peu à peu sa configuration, les escalades habituelles
à la Pierre Saint-Martin reprennent. Les blocs immenses
et les dalles érigées s'arc-boutent en une colline
escarpée que cerne, à l'aplomb des parois, la
rivière libre à nouveau que nous commençons
à remonter. Pas longtemps, hélas, car à
son entrée dans la salle, notre cours d'eau exécute,
entre deux parois abruptes, une savante convulsion, s'arrondit
en flaque profonde et barre la route... De l'autre côté
de ce détroit, où le courant d'air est perceptible
malgré les dimensions imposantes du défilé,
l'éboulis dégringole d'une haute et vaste galerie...
Bien que la faim nous tenaille d'aller immédiatement
rechercher notre canot pour voir la suite, nous décidons
d'aller quérir les topographes car il s'avère
bien que le gros de l'affaire se trouve de ce côté.
Notre incursion commence à se trouver à l'étroit
dans le temps qui lui à été imparti et
compte tenu de la tournure de la prospection ce n'est guère
le moment de traîner une chaîne d'arpenteur dans
un diverticule, aussi joli soit-il.
Nous retrouvons nos mâcheurs d'azimut au terme de leur
tâche et qui s'écrient lorsque nous leur parlons
d'abandonner l'affluent d'Arlas pour l'instant. Ils se rendront
pourtant bientôt à nos raisons et tout le monde
se retrouvera, un peu plus tard, au bord du laquet qui nous
avait arrêtés.
La haute galerie aperçue, où nous sommes maintenant,
a une étrange allure: la rivière serpente au pied
de grands éboulis, se creuse en larges laisses tandis
que les parois verticales s'élèvent jusqu'aux
épaulements inaccessibles que l'on discerne à
une grande hauteur. Peu à peu cependant les grands murs
se sont resserrés au niveau de l'eau puis après
un coude à angle droit, la belle galerie n'est plus qu'une
allée noire, profonde et calme... Javier et Felice prennent
le large sur cette portion pyrénéenne de Padirac,
ayant une demi-heure pour donner de leurs nouvelles.
L'inaction tue dans cette atmosphère à 4 degrés.
Prisonniers entre deux biefs, nous commençons à
trouver le temps long. Après quelques échanges
de vues limités par l'indigence réciproque d'un
vocabulaire commun, la topographie recevra nos soins bilingues.
Elle se heurtera au laquet et nous devrons attendre encore de
longs moments, martelant de nos semelles la plage de galets
et élaborant, chacun pour soi, de fastes hypothèses.
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