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Chronologie
| Rémy
Limagne | Bruno
Théry | Sarah Emonin
Récit de Sarah Emonin, une des victimes
Dimanche 29 juin dans la matinée, Gilles et moi (Sarah),
retrouvons Dominique au local de notre club, car nous avons
décidé d'explorer une cavité de la région.
Le temps étant couvert, nous optons pour le Gros
Gadeau, situé à Geraise dans le Jura. Nous
avons opté pour celui-ci car il a la réputation
de pouvoir se faire même lorsqu'il pleut et qu'il n'en
est que plus intéressant. Vers 13h30 -14h00, tout
équipés, nous commençons la visite. Gilles
équipe les puits hors crue. Je retarde mon entrée
dans le trou pour soulager un besoin pressant. Je me dépêche
et remets rapidement mon baudrier (ce détail quoique
naturel aura une certaine importance plus tard dans le récit). L'eau
qui s'écoule dans les puits fait un tel raffut que je
n'entends pas lorsque Gilles crie que les cordes sont libres.
Ce qui nous fait perdre du temps. Nous bavardons, prenons notre
temps, inconscients de l'orage en surface. Arrivé
à l'avant dernier puits, Dominique décide de ne
pas descendre et de commencer à remonter. Nous poursuivons
jusqu'à la cote de -85 m, Gilles me montre la suite:
une galerie étroite d'environ 150 m qui mène à
un siphon. Sur un monticule, nous trouvons un descriptif de
la cavité égaré là par un spéléo,
nous le consultons. Compte tenu du temps que nous avions perdu
à la descente et des pluies annoncées pour la
fin d'après midi, nous décidons de ne pas poursuivre.
Au moment de remonter, c'est très clair, le niveau
de l'eau à commencé à monter significativement.
Trop pressé de remettre mon baudrier, j'ai remis mon
"croll" à l'envers. Encore de précieux
instants de perdus pour le remettre correctement. J'entame en
premier l'ascension du puits. Il m'est difficile de sortir de
celui-ci car l'eau m'éclabousse la figure et gêne
ma respiration. Paniquée, je crie, je hurle. Gilles monte
illico-presto à ma rescousse. Il passe le fractionnement
au dessus de moi et me tire hors du puits. Nous avons décidé
de laisser l'équipement en place et de revenir dans la
semaine récupérer cordes et amarrages. Car nous
voulons sortir le plus vite possible. L'eau qui ne dépassait
pas le dessus de mon pied à la descente entre les deux
puits nous arrivait à présent au dessus de la
cheville. Gilles me fait signe de continuer à monter,
c'est alors que nous avons réalisé que cela nous
était impossible. Je nous pressentais perdus. Il faut
dire que je déteste l'eau. Je ne nage pas par peur de
me noyer. L'eau me fait une peur bleue. Je ne pratique aucune
activité aquatique... c'est plus fort que moi, la noyade
me transit d'effroi. La corde du second puits était sous
l'eau. Je dis alors à Gilles que si il le sentait, il
devait remonter... prévenir les secours... Il était
inutile de mourir les deux ici... surtout s'il pouvait s'en
tirer... j'attendrais là.
Il me conseilla de cesser de tenter d'escalader la paroi,
que cela me fatiguerait ou me ferait tomber dans l'eau et qu'en
aucun cas je n'atteindrais un endroit sûr, que l'attente
serait notre unique recours. Nous devions attendre soit la
décrue, soit les secours. La panique qui m'avait envahie
quelques instants auparavant m'avais quittée à
présent. La tempête avait fait place au calme.
Malgré l'incertitude, nous étions calmes, aussi
étrange que cela puisse paraître. En racontant
cela, on m'a souvent dit : "J'aurais paniqué, je
n'aurais pas pu...", mais je crois qu'il est impossible
de savoir ce que l'on ferait ou comment on réagirait
face à une si terrible situation... Bref, nous avons
digéré cela avec beaucoup de pragmatisme je crois.
Avec du recul, je pense que Gilles a été le moteur
de cela. Il a géré avec calme et lucidité
notre situation. Son comportement et ses paroles étaient
sages et apaisantes.
C'est ainsi que débute une très longue attente...
Le temps qui s'étire et que l'on ne peut pas quantifier.
Je suis attachée à la corde du puits supérieur.
Gilles, qui ne veut pas que nous soyons sur la même corde
s'accroche à celle du puits inférieur. Nous
pensons à Dominique, continue-t-il de remonter ? Nous
attend-il au dessus du puits ou au sec ?... Va-t-il prévenir
les secours ? Saura-t-il enlever l'alarme sur la voiture?... Je
pense aussi à tout ce que j'ai entendu sur les crues,
ces histoires infâmes, les hypothermies liées à
de longues expositions dans l'eau froide. Nous grelottons...
mais bien vite nous n'en souffrons plus. C'était comme
si notre cerveau avait changé de mode de fonctionnement.
Comme si une force intérieure nous aidait à lutter
contre le froid la fatigue, la peur, la faim ou même la
soif. Dès les premières minutes, nos acétos
ne fonctionnent plus. Les piles prennent le relais, mais bien
vite, nous nous retrouvons dans le noir (pour l'anecdote, j'avais
des piles neuves dans ma poche, mais à aucun moment je
n'ai pensé à elles...). Dans le noir, l'attente
paraissaient encore plus grande... interminable. Dans les ténèbres,
avec un bruit infernal, nous avons eu droit à une version
apocalyptique de notre dernière journée "sur"
terre. Partagés entre l'espoir de s'en tirer et l'éventualité
d'y rester, nous ne luttions pas simplement physiquement afin
de rester debout, agrippés, collés à la
paroi, poussés par le courant de la rivière, par
la force de la cascade qui à présent ensevelit
le puits. Inutile de préciser que l'eau persiste à
monter... Nous luttons contre les idées noires pour ne
pas sombrer dans l'angoisse. Communiquer entre nous est très
difficile. Nous sommes serrés l'un contre l'autre et
pourtant nous devons hurler pour nous entendre. Prise par
une grande conversation intérieure, je me suis refermée
et je réponds de temps à autre aux questions de
Gilles. Quel genre de questions on se posait... des idiotes
du genre: "Ca va ?", pessimistes: "Tu crois qu'on
va s'en sortir ?", intéressées: "Tu
crois que les secours vont venir nous chercher ?". Je
me souviens avoir dit à Gilles: "Qu'est ce qu'il
nous reste à faire ?", il m'a répondu: "Rien,
attendre et prier". Je ne suis pas croyante, ni pratiquante,
mais j'ai des souvenirs du catéchisme. Alors, pour l'exercice
de mémoire, plus que pour implorer le seigneur, nous
tentons d'en réciter une... mais nous nous mélangeons... La
seule chose que nous ayons faite à part prendre l'eau,
c'est penser. C'est fou ce que l'on peut penser ! Je tente de
chanter, mais les seules paroles qui me reviennent en tête
sont des chansons de Sardou que Gilles apprécie beaucoup,
je pense à mes parents, à ceux de Gilles, à
nos amis, notre boulot, les vacances que nous devions prendre
huit jours plus tard. A ce sujet Gilles s'accroche, car il avait
environ soixante jours de congés à prendre, il
ne veut pas les laisser à son patron ! De mon côté,
je tente de me rappeler de tout dans l'ordre chronologique.
J'essaie de ne rien oublier, ni personne. Une foule de souvenir
nous envahissent. Pendant ce temps, l'eau monte, parfois des
vagues de crues nous couvrent largement, nous abasourdissent
et nous font boire la tasse, rendant encore plus difficile notre
respiration. A plusieurs reprises, je me laisse choir dans
l'eau. Gilles à chaque fois me redresse, il finit par
me tenir fermement hors de l'eau. Je suis fatiguée, je
voudrais bien en finir une bonne fois pour toute. Puisque nous
allons mourir, pourquoi prolonger ces douloureux instants...
Qui se soucie de nous ? Prête à mourir, à
franchir le "tunnel", Gilles me sort de ma léthargie,
il a vu une lumière, c'est les secours, ils arrivent.
Pour moi, c'est la lumière du tunnel... Sceptique, je
ne le crois pas, quasi convaincue qu'on ne s'en sortirait pas.
Après quelques minutes, il me dit: "Regarde,
tu les vois... ils sont là!". Effectivement, je
dois me rendre à l'évidence, comment ne pas les
voir avec leurs casques équipés de lampes de 100
watts chacune. Je me demande s'ils nous voient. Alors pour être
sûr qu'ils nous localisent, je me mets à crier,
je braille pendant un bon moment, mais ils ne semblent pas nous
entendre (à ce moment, ils sont soulagés qu'il
me reste autant de ressources). En fait, ils plantent des
spits pour pouvoir nous atteindre. Soudain, c'est leur voix
que j'entends, je ne vois pas le visage de l'homme qui me dit
de venir. Je n'ai pas envie de partir sans Gilles... Sera-t-il
trop tard quand ils reviendront... La voix me crie de lui tendre
ma longe. Je m'exécute et j'entends "Ho Hisse...".
J'essaie de les aider, mais rapidement, je perds connaissance
leur laissant un "sac à patate" inerte à
hisser hors du puits, hors de l'eau. Je reprends connaissance
une fois au sec lorsqu'un des deux hommes me dit: "On va
chercher ton copain". A nouveau je "black-out"
total. Je me réveille bien plus tard, je suis dans le
point chaud. Gilles est là aussi. Il y a un autre gars.
J'entends des voix dehors... Il y a du monde! Un docteur nous
rend visite, nous pose des questions, puis vient l'heure du
repas. Un repas unique pour moi: du café (j'en ai horreur)
et des sandwichs au jambon (je suis végétarienne).
Un repas frugal où aucun des éléments ne
m'a incommodée.
Après un temps que je ne peux définir, on lève
le camp, il est temps pour nous de remonter. Dominique est sorti
seul, vers 20h30, les secours étaient déjà
sur place. L'alerte avait été donnée par
des spéléos de Côte d'Or. Gilles sort
le premier, tout seul comme un brave. En ce qui me concerne,
la nuit que je viens de passer a épuisé chacun
de mes muscles et je ne peux remonter seule. Alors c'est au
moyen d'un palan que l'on me ramène à la surface.
Il y en a du monde, des dizaines et des dizaines de personnes.
A la base du puits, je remarque que le jour s'est levé
(il est environ 6h30). J'entends le crépitements d'appareils
photos de la presse, j'ai pas envie d'être prise en photo,
d'avoir un article dans le journal... mais ho, comble de l'horreur,
arrivée en haut, France 3 est là aussi... Je
suis si heureuse d'être là grâce à
toutes ces personnes que j'ai envie de rire... je suis joyeuse.
Nous avons passé environ 14 heures sous terre. Ce
n'est pas ma plus longue sortie, mais de très loin, c'est
la plus éprouvante. Chaque sortie apporte son lot de
souvenirs et d'émotions, mais là ce sera difficile
de faire mieux ! On s'en est bien tiré, des courbatures
qui m'ont fait découvrir des muscles dont je ne soupçonnais
même pas l'existence. Un peu de conjonctivite... Ressortons-nous
choqués, changés ou plus forts d'une telle expérience...
je n'en sais rien. Le temps s'est écoulé depuis.
Durant bien un an, j'y ai pensé chaque jour: pas comme
une obsession, il n'y avait pas d'angoisse, juste des détails
qui me rappelaient ceci ou cela. J'ai découvert des limites
que je me croyais incapable de franchir. La vie reprend son
cours, le quotidien est toujours là, solide. Que puis-je
dire encore... une cavité en crue est un puissant élément
que l'on ne défie pas. On a eu de la chance de s'en tirer
ainsi. La météo est un facteur important à
ne pas négliger avant toute sortie. Bref, rien de nouveau
sous l'acéto des spéléos. Nous n'avons
rien découvert, ni inventé. Nous nous sommes jetés
dans la gueule du loup avec un brin d'inconscience. Un secours
spéléo ou une catastrophe, c'est comme le loto,
ça n'arrive pas qu'aux autres. On n'est ni plus fort...
ni plus malin
Sarah Emonin
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